L’équipe «CheckNews» de «Libération» a passé au crible, minute par minute, les affirmations des nombreux intervenants du documentaire qui dénonce une manipulation mondiale sur le Covid-19.
L’idée générale du documentaire Hold-up - qui agite Internet depuis quelques jours -, selon laquelle la pandémie de Covid-19 servirait un dessein caché (et assez fumeux) des autorités, ne relève pas de la critique factuelle. Le propre des discours conspirationnistes, ne s’appuyant sur aucun élément tangible, étant qu’il échappe au fact-checking. Pour autant, tout au long de ses deux heures quarante-trois, le docu distille, dans la bouche de ses nombreux intervenants, quantité d’informations erronées, trompeuses, qui, elles, peuvent être aisément infirmées. Florilège non exhaustif.
1. L’OMS ne préconise pas le port du masque pour le grand public (à 5 min)
«La France n’applique pas les recommandations de l’OMS. L’OMS ne dit pas que tout le monde doit mettre un masque», affirme Astrid Stuckelberger, «docteure en médecine et professeure universitaire». Les recommandations, dont la dernière version date du 20 octobre, sont pourtant claires : «Si le Covid-19 se propage dans votre communauté, protégez-vous en prenant quelques précautions simples, comme maintenir une distance physique avec autrui, porter un masque, bien ventiler les pièces […]. Considérez le port du masque comme normal lorsque vous êtes avec d’autres personnes.» Et de préconiser le port du masque en tissu en population générale, et le masque chirurgical pour les personnes à risque, ainsi qu’en cas de symptômes évocateurs de la maladie. En juin, l’OMS conseillait déjà aux autorités «d’encourager le port du masque par le grand public dans des situations et lieux particuliers, dans le cadre d’une approche globale de lutte contre la transmission du Sars-CoV-2».
2. Le confinement n’a servi à rien (à 8 min)
C’est une des thèses martelées tout au long du documentaire : le confinement, en plus d’être liberticide, est inutile sur le plan sanitaire. Les auteurs en ont la preuve, courbe de mortalité de l’Insee à l’appui : «Le virus a particulièrement sévi du 15 mars au 15 avril, période où nous étions tous confinés grâce à une mesure historique censée ne pas faire apparaître cette courbe», note la voix off. C’est effectivement après l’entrée en vigueur du confinement (le 17 mars) que le pic de mortalité est apparu. Ce qui, sauf à ne pas comprendre la dynamique d’une épidémie, ne prouve pas que le confinement n’a servi à rien. Car les décès interviennent, en moyenne, trois semaines après la contamination. Il est donc logique que le pic du nombre de morts, apparu à la fin de la première semaine d’avril, ait eu lieu trois semaines après l’instauration du confinement, qui correspondait, lui, au pic des contaminations.
3. La Suède n’a pas confiné et compte beaucoup moins de morts que nous (à 10 min)
«Quant à la Suède, qui n’a pas confiné, les chiffres parlent d’eux-mêmes», explique la voix off, soucieuse de souligner, en termes de décès, la différence entre la France et ce pays scandinave. Et de montrer une infographie selon laquelle la Suède a connu un pic à 111 morts au printemps, tandis que la France affichait un sommet à 1 438 morts le 15 avril. Problème : le «pic français» du 15 avril n’a pas grand sens. Ce jour-là, les données incluent le bilan quotidien des morts à l’hôpital (514), mais aussi et surtout celui des Ehpad (924 morts), qui n’est, lui, remonté que tous les trois ou quatre jours, et qui représente donc plusieurs jours de décès cumulés. Ainsi, les chiffres, pris en moyenne sur sept jours, afin de lisser les soubresauts statistiques propres à chaque pays, montrent un pic suédois de 99 morts le 16 avril, tandis que l’Hexagone connaît le sien, avec 974 morts, le 9 avril.
Rapporté à la taille de chaque population, cela donne un pic de 9,7 morts pour un million d'habitants en Suède, contre 14,5 morts pour un million d'habitants en France. Soit un pic 1,5 fois plus important pour la France par rapport à la Suède, contre 13 fois plus important dans le documentaire. Et encore, le pic Français, à ce moment-là, est gonflé par la remontée tardive des décès dans les Ehpad, qui ne sera mise en place que début avril. Car sur toute la première vague, et pas seulement au moment du pic, la Suède comptait, en cumulé, davantage de morts que la France : au 18 juin, elle enregistrait ainsi 494 morts par million d’habitants, contre 442 par million d’habitants pour la France.
Par ailleurs, dire que la Suède n’a pas confiné, c’est aller un peu vite en besogne. Certes, le pays n’a pas connu de confinement strict comme la plupart des pays européens. Mais sa population a d’elle-même réduit, sur «recommandations» du gouvernement, une grande partie de ses interactions sociales. Par ailleurs, lors de la première vague, les lycées et facs ont été fermés et les rassemblements de plus de 50 personnes, tout comme les visites dans les maisons de retraite, étaient interdits.
4. La «délation rémunérée» des médecins (à 38 min)
Les médecins ont été incités financièrement à signaler les cas contacts de leurs patients, affirme le documentaire. Une «délation rémunérée», dénonce la voix off. Pour illustrer le propos : une capture d’écran d’un article de CheckNews. Détail cocasse, ce dernier expliquait le contraire. En effet, si cette piste a été un temps évoquée, elle a vite été abandonnée. Et notre article était ainsi titré : «Finalement, les médecins ne bénéficieront pas d’une prime au signalement des cas contacts». Ce qui témoigne, de la part des auteurs, d’une grossière manipulation.
5. L’OMS interdit les autopsies (à 39 min)
Le documentaire s’interroge sur la possibilité d’une évaluation fiable du nombre de morts du Covid-19. L’endocrinologue et gynécologue Violaine Guérin l’affirme : «Il faut réaliser qu’on a interdit les autopsies.» Pour quelle raison, interroge l’intervieweur ? «Instruction de l’OMS, etc.» Une allégation là encore mensongère. L’OMS n’interdit pas les autopsies, puisqu’elle en précisait dès mars les modalités : «Les procédures de sécurité appliquées aux personnes décédées infectées par le virus du Covid-19 doivent être compatibles avec celles utilisées pour n’importe quelle autopsie de personne décédée de maladie respiratoire aiguë. Si une personne est morte pendant la période de contagiosité du virus du Covid-19 […] des mesures de protection respiratoire supplémentaires seront nécessaires pendant les actes générant des aérosols.» Il est simplement précisé que «s’il est pris la décision d’autopsier un corps présumé ou confirmé infecté par le virus du Covid-19, les établissements de santé doivent vérifier que des mesures de sécurité sont en place pour protéger les personnes qui pratiqueront l’autopsie».
6. On nous prévoyait 500 000 morts au Royaume-Uni (à 57 min)
Surfant sur l’idée que les autorités ont voulu générer la peur, l’infectiologue Christian Perronne raille «le plus grand canular» de l’épidémie : la projection, par Neil Ferguson, de 500 000 morts au Royaume Uni. Les modélisations de l’épidémiologiste star de l’Imperial College of London ont bien pesé dans les décisions des Etats européens (y compris en France) de prendre des mesures sévères pour endiguer l’épidémie. Mais l’argument selon lequel la projection s’est révélée fausse parce que le Royaume-Uni n’a pas connu l’hécatombe annoncée est absurde. La modélisation entendait évaluer le risque encouru si aucune mesure n’était prise contre l’épidémie. Certes, on ne saura jamais ce qu’il serait advenu si le confinement n’avait pas été décrété. Mais c’est pour éviter qu’il y ait 500 000 morts qu’il a été décidé.
7. Laurent Toubiana a prédit la fin de l’épidémie (à 1 h 12)
«J’ai pu donner le moment où l’épidémie allait atteindre son pic, j’ai pu donner aussi le moment où elle allait atteindre la fin. Je l’ai écrit, et je n’ai pas lu cela dans une boule de cristal : je l’ai déduit de mes connaissances de la maladie», fanfaronne l’épidémiologiste Laurent Toubiana. Dans un texte écrit le 11 mars, le chercheur de l’Inserm explique : «Il est très possible d’espérer que l’épidémie atteigne son pic en Europe avant la fin mars, et avec une fin de l’épidémie vers la fin avril 2020.» Si le pic de l’épidémie, en France par exemple, a bien été atteint début avril, la «fin», elle, se fait encore attendre… Mercredi, et pour ne parler que des décès, l’Hexagone connaissait 385 morts dus au Covid (en moyenne sur sept jours), soit 74 % du pic de la première vague (514 morts le 8 avril). Toubiana se targue donc d’avoir prédit la fin d’une épidémie… qui n’est pas finie.
8. Avec le Rivotril, l’Etat a organisé l’euthanasie des seniors (à 1 h 14)
C’est Serge Rader, pharmacien et figure du mouvement antivaccin, qui l’affirme, à propos des personnes âgées en Ehpad : «On leur a préparé la seringue de Rivotril avec un arrêté à la clé, pour les achever complètement.» L’affirmation fait écho à une intox largement relayée depuis des mois, selon laquelle l’Etat aurait organisé l’euthanasie des personnes âgées en autorisant par décret l’utilisation du Rivotril, un sédatif utilisé en soins palliatifs. Un décret a bien été publié fin mars, pour faciliter la dispensation de la molécule. Mais il ne visait pas à rendre possible l’euthanasie - illégale - mais à pallier la pénurie de midazolam, une autre molécule pour laquelle les hôpitaux craignaient une érosion des stocks, utilisée pour endormir les patients en réanimation, mais aussi en soins palliatifs, pour adoucir la fin de vie des malades.
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9. L’Institut Pasteur a créé le virus (à 1 h 52)
Jean-Bernard Fourtillan, connu pour avoir récemment mené un essai clinique sauvage sur plus de 350 malades de Parkinson et Alzheimer (et proche du docteur Henri Joyeux, figure du mouvement antivaccin), affirme, lui, que le Sars-CoV-1, puis le Sars-CoV-2, ont été créés en insérant une «séquence d’ADN de la malaria» dans un virus peu dangereux. Le responsable ? L’institut Pasteur, qui aurait déposé un brevet vieux de quinze ans sur le sujet. Problème : ces brevets sont des documents publics, qui comportent par exemple des descriptions de séquences d’un coronavirus de 2002 (responsable du Sras) et des premières pistes pour trouver un vaccin. Quoi qu’il en soit, «on n’invente pas un virus», comme l’explique Olivier Schwartz, directeur de l’unité virus et immunité de l’Institut Pasteur, ajoutant qu’il existe des centaines, voire des milliers de brevets de ce genre chaque année. Le 2 novembre, le tribunal correctionnel de Senlis a d’ailleurs condamné pour diffamation un homme qui avait diffusé les mêmes accusations contre l’Institut Pasteur. Il a écopé d’une amende de 5 000 euros avec sursis et 1 euro de dommages et intérêts.
10. Les tests Covid existaient déjà en 2015 (à 1 h 52)
Dans la même veine que ces vrais-faux brevets, est reprise l’idée selon laquelle des tests PCR détectant le virus existaient bien avant l’apparition de la maladie. Au moins depuis 2015, enchaîne l’intervenant, en brandissant des images issues d’une base de données de la Banque mondiale, censées montrer que des «tests Covid» ont été vendus avant cette année. En réalité, pour aider les pays à avoir une idée globale des stocks et échanges des produits en tension pendant la crise, comme les réactifs utilisés dans les tests, les codes de ces biens commerciaux ont été mis à jour pour être regroupés sur une même page de la banque mondiale et intitulés Covid-19. Et ce sont des produits commercialisés depuis des années qui se sont retrouvés sous cette appellation. La rumeur a pris tellement d’ampleur, à l’automne, que la Banque mondiale a dû modifier en urgence ses pages pour faire apparaître ces produits sous le nom «tests médicaux» et non plus «test Covid». Cette fois, Jean-Bernard Fourtillan en rajoute une couche puisqu'il parle de «brevet sur les tests pour détecter le Covid» déposé en 2015. Comme l'ont expliqué nos confrères d'AFP Factuel il y a quelques semaines, il s'agit d'un brevet sur les techniques d'analyse de données biométriques mis à jour en 2020 permettant d'utiliser ces techniques dans le cadre du Covid, comme le permet la réglementation américaine.
La suite et fin du documentaire se perd entre le transhumanisme, la 5G, le «Great reset», ou l’avènement prochain d’un gouvernement mondial à la faveur de la pandémie (dont on parle de moins en moins). Les trois derniers quarts d’heure ne semblent même plus prétendre reposer sur des faits, rendant sans objet l’examen factuel des propos tenus.
Libération, le 12 novembre 2020