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30 juin 2020

La descente aux enfers d'Oxfam



Sa réputation était déjà écornée par plusieurs scandales. La crise du Covid va contraindre l'ONG à mettre en place un plan de licenciements.

L'annonce a fait l'effet d'une bombe dans le monde des organisations non gouvernementales : Oxfam se retire de dix-huit pays d'opérations et licencie un tiers du personnel de son siège international, soit 1 450 personnes. La célèbre organisation de développement britannique arrête notamment ses interventions dans les nations parmi les plus pauvres de la planète, à l'instar d'Haïti, de l'Afghanistan du Sri Lanka et du Soudan.
Fondée en 1942 à Oxford, Oxfam est la plus réputée des ONG britanniques aux côtés de Save the Children, du World Wild Fund et d'Amnesty International.

Le manque à gagner des magasins fermés

Présente dans 90 pays, cette confédération d'une vingtaine d'associations nationales et de 3 500 organisations partenaires s'est imposée par son savoir-faire sur le terrain (adduction d'eau, aide alimentaire, toilettes, tentes…) dans les situations d'urgence de guerre, de catastrophes et de famine comme dans des programmes à long terme tels que la lutte contre la pauvreté ou l'évasion fiscale des multinationales, ou encore la protection des femmes et des filles dans le tiers-monde. Oxfam est financée par les bailleurs publics, les dons et les revenus commerciaux de ses 1 200 magasins de seconde main dans huit pays.
« Le coronavirus a rendu notre aide aux plus vulnérables plus urgente, mais en même temps a impacté négativement sur notre capacité à d'action » : Oxfam affirme avoir pris ces mesures radicales à la suite de la pandémie qui a mis à mal sa trésorerie.
Les magasins, qui constituent un cinquième des revenus, ont été fermés. Si le personnel à plein temps a pu profiter du chômage technique, les volontaires (50 000) ont été confinés. Par ailleurs, les subventions gouvernementales tout comme les fonds privés ont dramatiquement diminué en raison des effets du virus dans les pays donateurs. Le manque à gagner est estimé à 5 millions de livres (5,6 millions d'euros) par mois. Enfin, le gouvernement britannique a refusé de venir en aide au secteur associatif, pris à la gorge par l'arrêt des manifestations sportives et culturelles, qui lui permettaient de remplir ses caisses.

Si les mesures annoncées parent au plus pressé, en réalité Oxfam subit le contrecoup des nombreux scandales qui ont durablement éclaboussé la réputation de l'ONG.
L'enseigne verte ne s'est jamais remise des accusations d'abus sexuels commis par son staff en Haïti après le tremblement de terre de 2010. « Une complaisance frôlant la complicité », a estimé la commission de l'aide au développement de la Chambre des communes en 2019 à propos de la direction, qui a fermé les yeux sur les agissements de cadres incriminés qui avaient eu recours à des prostituées, dont certaines mineures. Le directeur général d'Oxfam, Mark Goldring, a été contraint à la démission pour avoir couvert le scandale. En réaction à cette affaire hautement médiatisée, de nombreuses célébrités, dont l'archevêque sud-africain et Prix Nobel de la paix Desmond Tutu, ont démissionné de leur poste d'ambassadeur d'Oxfam. Les dons privés ont chuté dramatiquement.
Par ailleurs, la stratégie d'Oxfam d'accaparer la une des médias en publiant des études aux thèmes accrocheurs a fortement déconsidéré l'organisation. « La moitié de la population mondiale vit avec moins de 5 dollars par jour », « les vingt-six plus riches détiennent autant d'argent que la moitié de l'humanité », « les banques spéculent sur la faim », etc. Les rapports aux titres incendiaires destinés à faire la une des médias cachent trop souvent un manque de rigueur intellectuelle et scientifique et une mauvaise maîtrise des données et de l'investigation financière sous couvert de bonnes intentions.

Enfin, Oxfam paie le prix de son hostilité ouverte à Israël, de son soutien implicite au boycott et de la virulente rhétorique antisioniste voire judéophobe de certains de ses activistes. Les donations privées aux États-Unis et au Canada ont souffert de cette vulgate qui confond volontiers la critique de la politique du gouvernement israélien dans les territoires occupés et l'antisémitisme. La comédienne Scarlett Johansson a été privée de son titre d'« ambassadrice », car la promotion par l'actrice américaine d'une société israélienne de soda a été jugée incompatible avec son rôle d'émissaire mondiale. Au cœur du système Oxfam d'utilisation des célébrités du show-business pour promouvoir sa cause, Hollywood a peu apprécié cette excommunication.
Pour couronner le tout, le 24 mars, Oxfam a dû présenter ses excuses à l'ambassadeur d'Israël à Londres pour avoir mis sur son site de vente en ligne plusieurs copies du « Protocole des sages de Sion », l'un des faux antisémites les plus célèbres, datant de l'époque des pogroms tsaristes. Les ouvrages ont été retirés de la vente.

Marc Roche,
Le Point, 9 juin 2020