Un adolescent, domicilié à Vitry-sur-Seine
(Val-de-Marne), a tenté de commettre un attentat au couteau le 21 juin, sous
l'influence d'individus radicalisés.
[EXCLUSIF] La veille de la fête de la musique,
un attentat a été déjoué discrètement à Vitry-Sur-Seine. L'aspirant terroriste
était un adolescent français en contact avec le Suisse arrêté lors du coup de
filet de mardi. L'Express a pu consulter ses derniers écrits.
Coiffé d'une épaisse tignasse noire et ondulée, un
jeune homme au visage poupin tente d'afficher une mine déterminée. Sa fine
moustache trahit son entrée récente dans la puberté. Sur cette photo, prise
dans ce qui semble être la salle de bain familiale, "Abou Ismaïl"
formule son voeu de mourir au nom du djihad. Il brandit
une feuille arrachée à un classeur d'écolier sur laquelle il a inscrit au
stylo: "Je prête allégeance au calife Abu Bakr Al-Baghdadi [le chef
autoproclamé de l'Etat islamique]".
A 13 ans à peine, cet adolescent de Vitry-sur-Seine
(dans le Val-de-Marne) est devenu le plus jeune mis en examen pour un projet d'attentat en
France. Dans la nuit du 20 au 21 juin dernier, il a été interpellé par les
policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sur la voie
publique, non loin de son domicile, alors qu'il avait annoncé son intention de
tuer au hasard des passants. Un couteau est retrouvé sur lui. Les enquêteurs
ont eu vent de son projet grâce à un "renseignement" qui leur est
parvenu à la dernière minute: le collégien bavard s'était épanché sur son désir
d'attaquer des "mécréants" en cette fin de Ramadan sur la messagerie chiffrée Telegram.
Il y avait aussi publié son serment d'allégeance. A quelques heures de la fête
de la musique, les autorités ont ainsi déjoué le huitième attentat de l'année
2017.
"Sortez avec un couteau,
agissez!"
Fait inquiétant, selon l'exploitation de son
téléphone, le jeune garçon entretenait des contacts virtuels avec un certain
nombre d'individus radicalisés et placés sous surveillance. En France comme en
Europe.
Parmi eux, un Suisse, djihadiste présumé de 27 ans,
arrêté ce mardi en France lors d'un vaste coup de filet
antiterroriste. "Ils avaient eu des conversations privées sur
Telegram. Le mineur participait à plusieurs groupes de discussions, qui avaient
notamment été initiés par le Suisse", indique une source proche de
l'enquête à L'Express. C'est d'ailleurs pour préserver les investigations sur
ce prétendu "imam" influent que l'affaire de Vitry-sur-Seine est
restée confidentielle pendant près de cinq mois. Outre cet individu suisse, un
Belge de 37 ans connu des services antiterroristes a été arrêté en Belgique dès
le 21 juin, quelques heures après l'adolescent, et écroué. Il est soupçonné
d'avoir incité le jeune admirateur de Daech à passer à l'acte.
L'Express a pu consulter les derniers messages
"d'Abou Ismaïl" - son pseudonyme sur Telegram. Ils trahissent une
immaturité déconcertante. L'adolescent semble avoir mûri son projet terroriste
dans les dernières minutes, galvanisé par des internautes radicalisés qui se
connaissaient à peine. Dans un groupe privé intitulé "Discussions
(frères)", réunissant 25 membres et où l'on disserte sur la religion, il
écrit le 21 juin à 23h34: "Les frères qui sont en Dar al Kufr [terre
des mécréants] agissez!!! Sortez avec un couteau, plantez les kouffars,
tuez les avec n'importe quoi. Avant, accomplissez le ghusl [l'ablution]
et faites la prière puis sortez, bismillah [au nom de Dieu]."
"T'es au Sham? Alors
agis aussi, frère"
Pour convaincre ses interlocuteurs, le jeune collégien
se livre à une exégèse hasardeuse du Coran. "Le messager nous a bien dit
que celui qui tue un mécréant au nom d'Allah ira au paradis." Il insiste :
"Couteau dans la tête, le ventre, n'importe où!". Face à cette fougue
- qui n'est pas sans rappeler celle d'Adel Kermiche, l'un des jeunes
terroristes de Saint-Etienne-du-Rouvray
-, les participants au groupe tancent le garçon.
- T'es au Sham [terres contrôlées par Daech]
frère?
- Non, admet le Francilien.
- Alors agis aussi frère, le provoque un
internaute.
Il n'en faut pas plus pour décider l'adolescent : il
va agir, et dès "ce soir". Malgré l'heure tardive, il veut frapper
dans la rue aveuglément, sans distinction de cibles et avec des moyens
rudimentaires. "Tu dis ça ici, normal?", s'inquiète l'un de ses contacts
Telegram. Quand d'autres l'encouragent et lui prodiguent quelques conseils :
"Pour la sécurité de tous, jette portable, ordi et tout objet
électronique. Supprime ton compte Telegram inch'Allah". Un habitué de la
propagande islamiste se propose quant à lui de faire la liaison avec Daech pour
la préparation d'un futur communiqué de revendication.
"Soit il est parti, soit c'est
un acteur mdr"
Dix minutes plus tard toutefois, un certain doute
gagne le collège des émules de Daech. Et si "Abou Ismaïl", qui ne
répond plus aux messages, n'était qu'un fanfaron ? Ou pire, un espion qui
voudrait leur tendre un piège ? Dans l'assistance, personne ne semble vraiment
le connaître. Les esprits s'échauffent.
- Cela fait un moment que je lui parle, mais je savais
pas qu'il avait 13 ans, explique un membre.
- Comme il était admin [administrateur du groupe],
je me disais que tu le connaissais lol, lui reproche un autre.
- Oui, mais je demande pas aux frères où ils vivent !
- C'est simple : soit il est vraiment parti... Soit [c'est]
un acteur un peu mdr, observe un troisième participant.
- Je comptais dormir tôt aujourd'hui, c'est mal
parti...
Finalement, un certain "Abd'al Muhaymin
Al-Bosnie" apporte sa caution au jeune terroriste. Il entretiendrait des
liens personnels avec lui. Ce mystérieux garant, les policiers l'ont identifié
comme étant le Suisse de 27 ans interpellé mardi, selon une source proche de
l'enquête. Son pseudonyme est un hommage à ses origines bosniaques, lui qui
s'est converti à l'islam il y a seulement trois ans. Il adresse un ultime
hommage à son jeune protégé: "Frère je t'aime sur Allah, je veux que tu le
saches".
Vers minuit, le collégien se connecte une dernière
fois à Telegram: "Je suis prêt, devant ma porte". Un couteau à la
main, et à peine entré dans l'adolescence, il s'apprête à fondre dans la
nuit.
- Quelle ville ?, l'interroge l'un de ses
contacts.
- Vitry-sur-Seine, 94.
C'est son dernier message. Le groupe est supprimé dans
les heures qui suivent pour tenter d'effacer toute trace. "Les frères"
s'attendent à savourer les exactions de l'adolescent à la Une des journaux
télévisés du lendemain. Il n'en sera rien. L'apprenti djihadiste est en réalité
en bien mauvaise posture. Il est placé en garde à vue dans les locaux de la
DGSI à Levallois-Perret (dans les Hauts-de-Seine). Après 48 heures d'audition -
le maximum possible en raison de son âge-, il est mis en examen par un juge
antiterroriste et placé en détention provisoire le 22 juin.
Jérémie
Pham-Lê
L’Express, 8
novembre 2017