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07 novembre 2017

Djihadisme : les dessous de la filière marocaine



C’est une question soigneusement évitée à chaque nouvel attentat qui survient. Au vu des derniers attentats récents de Barcelone, toujours la même interpellation qui surgit : pourquoi de jeunes Marocains ou européens d’origine marocaine et issus de l’immigration basculent-ils de la petite délinquance à l’entreprise terroriste ?

Les filières catalanes

Après la multiplication des actes isolés pendant quelques mois partout sur le sol européen, les filières de Barcelone ont révélé le retour à des profils de terroristes plutôt jeunes et délinquants, organisés en filières et fortement idéologisés pour passer à l’action en « meute » et en fratries. Ces réseaux construisent un environnement propice : la délinquance forme les hommes à l’action violente, les réseaux existants permettent des solidarités et des trafics au-delà du simple hachisch, et qui peuvent aussi faire transiter facilement de l’argent pour d’autres objectifs.
Ces jeunes sont tous d’origine marocaine pour les attentats de Barcelone comme ceux de Bruxelles. Comment interpréter ces faits récurrents ? Loin de vouloir faire du culturalisme, nous pouvons expliquer ce phénomène de plusieurs raisons.

Un réseau de solidarité mondiale

La diaspora marocaine fait partie des dix plus grandes diasporas au monde avec près de 10 millions de Marocains répartis dans le monde pour une population totale de 35,28 millions de Marocains au pays. Ce qui signifie donc que 1 Marocain sur 4 dans le monde vit en dehors de son pays. Cela tisse une toile et un réseau extraordinaire de solidarité, de communication et de circulation de capitaux parmi les plus importantes au monde pour une diaspora.
Dès les années 1970, après l’immigration économique, beaucoup de familles se sont regroupées en Europe alors que la crise économique commençait à sévir violemment en Belgique et en France. Combien de jeunes nés dans les années 1980 ont toujours connu leurs parents au chômage, et ont pu ou dû basculer dans le royaume de la débrouille ?  A tel point, que l’économie informelle est devenue partie prenante du quotidien pour un certain nombre.

Le Maroc, premier producteur mondial de haschich

Le développement du territoire transnational et des réseaux entre immigrés belgo marocains et marocains est une réalité et n’y est pas pour rien dans le glissement de certains jeunes « Marocains » en Europe. La création de véritables comptoirs commerciaux, a fait émerger des carrefours du trafic : Molenbeek en Belgique en est un parmi des centaines de relais en Europe de ce commerce illégal. Idem en Espagne avec des villes comme Barcelone ou Algésiras, villes internationales ou zones franches et portes d’entrée du vieux continent. Doit-on rappeler que le Maroc est considéré par les Nations unies comme le premier producteur mondial de haschich ? Cela crée des convoitises et rapporte beaucoup d’argent pour ceux qui en font commerce dans le reste du monde, et en particulier en Europe.  Les réseaux tentaculaires ont fleuri en Europe via l’immigration. C’est sur ce réseau extraordinaire de solidarité mis en place que la cause djihadiste peut alors se développer à l’international.

Une manne pour le financement du terrorisme

Malgré la « rupture » historique des Rifains avec la monarchie, ces derniers ont toujours gardé un lien très fort avec le Maroc, que ce soit à travers l’envoi d’argent ou le mariage.
Aujourd’hui, en Belgique, il y aurait environ 600 000 habitants d’origine marocaine, soit 3,9 % de la population totale. Côté Catalogne, il y a depuis les années 1960 une forte présence musulmane marocaine et pakistanaise à Barcelone : environ 300 000 musulmans. La région, par ses velléités indépendantistes, a toujours favorisé les revendications identitaires et spécificités culturelles diverses, tout en écartant bien évidemment la valorisation des valeurs nationales républicaines. C’est ce qui s’est aussi passé en Belgique : les associations marocaines ont été largement soutenues dans leur différence et identité, au détriment du soutien aux valeurs nationales du royaume.
Est-ce un hasard si on a longtemps qualifié la Catalogne, elle aussi nationaliste en rébellion face à Madrid, de « plaque tournante du djihadisme » ? A tel point que pour la CIA dès 2010, elle était « le foyer du djihadisme européen », à la croisée du Maghreb et du cœur de l’Europe avec la France. Depuis 2012, près des 3/4 des arrestations d’islamistes radicaux qui ont eu lieu en Espagne, l’ont été en Catalogne.

Crise économique et économie informelle

La crise économique mondiale de 2008 a eu des conséquences en Europe, premier partenaire des pays du Maghreb. L’Europe du Sud a été largement touchée et en particulier les saisonniers qui se rendent chaque année dans le sud de l’Espagne pour les récoltes, ou viennent pour le secteur du bâtiment. Entre 2000 et 2008, le chômage a explosé et atteignait près de 28 % de la population active. L’immigration marocaine fut en première ligne. Enfin, l’économie souterraine va donc bon train en Espagne, encore plus depuis la crise économique. Le pays fonctionnerait avec 20 % à 30 % de son économie notamment dans l’hôtellerie et la restauration, secteurs clés du tourisme, au noir. Ce qui n’est pas évidemment pour permettre aux immigrés notamment d’obtenir statut officiel, sécurité, stabilité et reconnaissance. Et ce qui permet aussi de faire fructifier son propre trafic sans être inquiété par l’État peu efficace dans la lutte contre la fraude. Le basculement de la petite délinquance au terrorisme a suffisamment été démontré pour un certain nombre des terroristes récents.

70% de djihadistes marocains viennent du Rif

Dès 2011, le pouvoir marocain a poussé indirectement certains ex-détenus à partir en Syrie directement. Ainsi, on estime leur nombre à 1500 Marocains dont 70% du Rif. La réalité est que le pouvoir chérifien semblait préférer voir certains de leurs ressortissants disparaître là-bas, avec le risque de se faire tuer et un risque minime de les voir revenir et germer sur le territoire national et devenir un élément contaminant.
Dans Le Rendez-vous des civilisations (Le Seuil, 2007), Emmanuel Todd et Youssef Courbage mentionnaient déjà en 2008 que la transition démographique très rapide qui a lieu dans une grande partie du monde arabe a comme souvent dans d’autres parties du monde provoqué des phénomène de violence sociale très forts. Ce fut le cas en Algérie dans les années 1990 et plus tardivement au Maroc aussi. Cela amène dès lors à des reconfigurations violentes de l’imaginaire et des représentations religieuses. Et pose l’hypothèse suivante que le Maroc parvient encore à contrôler au pays la violence de cette transition démographique mais qu’elle s’exporte, ou a lieu à l’extérieur, et notamment au cœur de la diaspora si importante et devient incontrôlable.

40% de chômage

Cela a repris récemment au Maroc. La région du Rif a connu récemment de nombreuses manifestations dont l’épicentre est Al-Hoceima. Les premiers procès de fin août 2017 ont condamné à 20 ans de prison certains jeunes qui demandaient avant tout de quoi étudier, se loger, se nourrir. Traditionnellement, on avait tendance à penser que le roi Mohamed VI avait réinvesti la région depuis son accession au trône. De plus, l’économie du kif apporte une rente substantielle à nombre de producteurs et leurs familles. Pour ceux qui veulent suivre la voie traditionnelle, les choses semblent plus compliqués. Ces jeunes sont prêts à tout pour pouvoir avoir les mêmes chances que n’importe quel jeune vivant en Europe, et encore cela dépend des pays, pour pouvoir obtenir une formation, des diplômes et un emploi. Or, le chômage des jeunes reste extrêmement fort au Maroc. Ils sont en effet près de 40 % à être sans emploi. Que feront-ils ? Que deviendront-ils ? Quelle image que d’être encore à plus de 30 ans chez ses parents sans projet viable de vie ?

Drogue et déradicalisation

La question est profonde et doit être résolue d’un point de vue euro-méditerranéen. La collaboration ne peut pas être uniquement européenne mais doit se faire en synergie directement avec le Maroc. Bien sûr, cela sous-tend d’évoquer des questions épineuses. La fin de la radicalisation peut-elle passer par un tarissement du trafic de drogue et tous ces réseaux parallèles avides d’argent et de mort et directement opérationnels pour des entreprises de mort ? Il est difficile de trancher mais il est clair qu’une lutte active contre l’économie informelle, contre l’échec scolaire, pour une meilleure réintégration des personnes désintégrées par l’injonction d’intégration, nous prémunira probablement d’autres dommages collatéraux.

Sébastien Boussois,
« Causeur », 24 octobre 2017