L’ordre poutino-assadien règne à
Alep. Le principal fief de la rébellion était, mardi 13 décembre, en passe
de tomber sous les coups de boutoir des avions russes et syriens, le
déluge d’obus de l’armée ainsi que les assauts des multiples milices
chiites – des Libanais du Hezbollah aux Afghans en passant par les Irakiens –
encadrées par des officiers iraniens et russes. Jamais l’armée syrienne n’aurait pu, seule, venir à bout
des insurgés d’Alep, qui ont contrôlé la moitié orientale de la ville pendant
plus de quatre années. Cette victoire n’est pas seulement celle, incontestable,
de Vladimir Poutine, elle est celle de la République islamique d’Iran, qui
poursuit une politique d’implantation dans le monde arabe lourde de conséquences
et de tensions à venir .
Bachar Al-Assad est l’autre grand vainqueur d’Alep.
Nul n’imaginait, il y a un an et demi seulement, qu’il puisse reprendre
l’initiative sur le terrain militaire. Nul n’imaginait même, cet été, alors que
le siège du réduit insurgé débutait, que le sort d’Alep serait scellé en moins
de six mois. Mais de quelle victoire s’agit-il ?
Une ville dévastée
Si Moscou et Téhéran se moquent d’établir leur férule
sur un champ de ruines, le régime, lui, récupère une ville exsangue. Ce
qui fut, il n’y a pas si longtemps, la capitale économique de la Syrie n’est plus qu’un cimetière dévasté et déserté.
Les quartiers ouest, régulièrement bombardés par les rebelles, restent quasi
intacts, mais la zone industrielle d’Alep l’industrieuse, pillée par la
rébellion, n’est plus – tout comme les vieux souks, brûlés dans les combats.
Les faubourgs populaires sont vides et l’on se demande
qui va reconstruire Alep, tant le régime est plus soucieux de chasser la
majorité sunnite, suspecte de sympathie pour les rebelles, que de convier les
réfugiés à revenir au pays. Alep risque de subir le sort d’Homs, dont les
quartiers détruits restent désertés et où l’on incite des réfugiés afghans
chiites venus d’Iran à venir s’installer pour prendre la place des Syriens qui
ont fui la guerre. La chute d’Alep, qui ne s’est accompagnée d’aucun plan de
protection des civils, va être suivie d’une épuration politico-confessionnelle
du type de celles observées dans les années 1990 en ex-Yougoslavie. Déjà, on
parle de camps de regroupement pour les femmes et les enfants, et de disparition
en masse des hommes de moins de 40 ans. Terrible réminiscence.
Les Occidentaux en spectateurs
effarés
Mais alors que l’enjeu de sécurité – sans même parler de
morale – est aussi grand qu’en ex-Yougoslavie pour les Occidentaux, ceux-ci
sont restés, cette fois-ci, spectateurs effarés du drame. Alep aura été l’un
des tombeaux du droit international, de l’ONU, du minimum de décence et
d’humanité. La grande majorité des habitants d’Alep-Est ont vécu (et péri) sous
les bombes, dans les privations et à la merci des exactions de la rébellion,
plutôt que de subir la torture et la dictature du régime Assad. C’est dire ce
qui attend les survivants et l’ampleur du rejet du régime syrien dans une bonne
partie de la population .
Tout comme la chute de Srebrenica a été un tournant
dans la guerre de Yougoslavie, la dernière ignominie qui a fini par réveiller la
communauté internationale, celle d’Alep marquera un tournant aussi. Mais il n’y
a rien de bon à en attendre. Et ceux qui jugent utile de s’en accommoder risquent
de subir pendant longtemps les conséquences de l’ordre ignominieux qui vient de
triompher à Alep.
Editorial du journal "Le Monde"
13 décembre 2016