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10 juin 2011

Libye: Le calvaire d’Eman al-Obeidi n’était pas fini

Eman al-Obeidi


Eman al-Obeidi, cette Libyenne qui a ému les médias en leur racontant le viol collectif dont elle a été victime en mars dernier, a été expulsée du Qatar où elle tentait de trouver refuge. Maltraitée, humiliée, elle est aujourd’hui retranchée à Benghazi, et espère trouver un pays d’asile, pour recommencer sa vie à zéro.
 
Le 26 mars dernier, cette femme avait touché au cœur les journalistes du monde entier, réunis en majorité à l’hôtel Rixos de Tripoli. Bravant les gardes de sécurités, Eman al-Obeidi fut la première opposante à atteindre les médias stationnés dans la capitale, soumis à un stricte encadrement du régime. Elle avait raconté avoir été arrêtée par des membres des troupes de Kadhafi à un point de contrôle de Tripoli, puis retenue deux jours durant et violée par quinze hommes. Traitée de folle par les fidèles du dirigeant libyen, Eman al-Obeidi avait été embarquée, écrouée, puis relâchée à la demande d’un des fils du colonel, Saadi Kadhafi. Depuis une interview téléphonique le 4 avril avec CNN, elle n’avait plus donné signe de vie. Sybella Wilkes, une représentante de l'ONU, a indiqué ce vendredi qu’elle venait d’être expulsée du Qatar, où elle a tenté de trouver refuge le mois dernier. La Libyenne dont on ignore l’âge et le parcours, se trouverait désormais à Benghazi, le fief des rebelles, dans l’Est du pays. Sybella Wilkes a dénoncé sa déportation, dans la mesure où la jeune femme est une réfugiée reconnue.
Nasha Dawaji, une militante libyenne pro-liberté basée aux États-Unis, a précisé à CNN qu'Eman al-Obeidi était avec trois membres hauts-placés du Conseil national de transition, le gouvernement formé par les insurgés et reconnu par la communauté internationale. Ces derniers auraient été choqués par son état. La Libyenne a été décrite comme «abattue et meurtrie». De même source, Eman al-Obeidi aurait été récupérée avec un œil au beurre noir, des ecchymoses sur les jambes et des griffures sur les bras. Le CNT lui aurait promis d'ouvrir une enquête. Dans les heures ayant précédé son expulsion, des gardes armés avaient été postés devant sa chambre d'hôtel, empêchant un représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés de l'aider, a confié l’expulsée à CNN. L’agent de l’ONU avait préparé des documents pour lui permettre un nouveau départ au Qatar, pour lui permettre de débuter une nouvelle vie après le cauchemar qu’elle a vécu. Au lieu de cela, elle aurait été conduite de force, avec ses parents, de l’établissement Kempinski Residences & Suites, où elle se trouvait, à Doha, jusqu’à un avion militaire, où elle aurait été menottée et battue. Elle a également dit que les Qataris leur avaient tout pris, y compris leurs téléphones portables, son ordinateur portable, et de l'argent.

Le rôle confus du CNT

Vincent Cochetel, du bureau du HCR à Washington, a rapporté ce que les autorités qataries leur ont expliqué pour justifier l’expulsion: ils disent avoir agi sur ordonnance du tribunal, selon laquelle le visa d’al-Obeidy avait expiré. Ce à quoi le HCR a rétorqué que la jeune femme et avait déjà le statut de réfugiée, et donc l’autorisation de rester. Vincent Cochetel indique que Doha a ignoré cette information. «Renvoyer de force un réfugié qui a survécu à un viol collectif, non seulement viole le droit international, mais est aussi cruel et pourrait déclencher d'autres traumatismes», a déploré Bill Frelick, directeur du programme des réfugiés à Human Rights Watch. «Tous les yeux sont maintenant rivés vers les autorités dans l'Est de la Libye, qui devrait permettre à al-Obeidy de quitter le pays.» Le CNT, lui, assure qu’Eman al-Obeidi est libre de voyager où bon lui semble. Mais son rôle dans l’histoire comporte néanmoins quelques zones d’ombre. Après avoir été agressée par les sbires de Kadhafi, puis libérée de prison, la victime présumée raconte avoir fui son pays, avec sa famille, vers la Tunisie, avec l'aide de deux officiers de l'armée ayant fait défection au régime. Des diplomates français les auraient conduits à la frontière, où des fonctionnaires du CNT auraient organisé leur voyage jusqu’au Qatar. Seulement, une fois sur place, al-Obeidy a dû expliquer son cas, assurant notamment avoir reçu l’aide des nouvelles autorités libyennes –avec qui le Qatar coopère. Or, le Conseil a nié cela, comme si cette affaire l’embarrassait finalement. A Washington, le porte-parole adjoint du Département d'Etat Mark Toner s’est dit jeudi «très préoccupé» par la sécurité de la Libyenne, et a souligné que ses hommes étaient en relation avec des organisations internationales pour s'assurer de son sort, et de lui trouver asile dans un «pays tiers». CNN, qui enquête sur cette affaire depuis le début, a précisé n’avoir eu aucune réponse, que ce soit de l’ambassade du Qatar à Washington, de celle de Londres, de l’hôtel où résidait al-Obeidy à Doha, ou même des ministères qataris –sachant que ce vendredi est un jour férié là-bas. Le siège social de Kempinski, situé à Genève, n'était pas au courant de l'incident, mais s’est dit prêt à réagir quand il s’en sera informé.
Le 26 mars, Eman al Obeidi avait suscité l’émotion en faisant irruption à l'hôtel Rixos à l’heure où les journalistes prennent leur petit-déjeuner, avant d’être prise à partie par des représentants du gouvernement libyen et expulsée de l'hôtel. Dans l’établissement, le terrible témoignage avait provoqué une cohue. Un employé de l’établissement avait menacé Eman d’un couteau en la traitant de «traîtresse», des journalistes tentant de s’interposer avaient été plaqués au sol et leur matériel saisi. Le 4 avril, elle avait raconté son calvaire à Anderson Cooper, de CNN, par téléphone: «Ils m’ont lié les mains derrière le dos, et attaché les jambes, ils m'ont frappé (…) et ils versaient de l'alcool dans mes yeux pour que je ne sois pas capable de les voir, et ils m’ont sodomisé avec leurs fusils et ils ne nous laissaient pas aller à la salle de bains, a-t-elle confié. Nous n'étions pas autorisés à manger ou à boire. (…) Un homme partait et un autre entrait. Il finissait, puis un autre homme arrivait», poursuivait-elle avec douleur. Ses bleus et autres blessures apparentes témoignaient en effet de la violence de ses bourreaux. «Ils m’ont violé mon honneur», s’était-elle morfondue ce fameux samedi. Un honneur qu’elle n’arrivera pas à laver tant qu’elle se trouvera dans ce pays où elle ne se sent plus en sécurité. Point final

Marie Desnos
Parismatch.com, le 3 juin 2011

Nota de Jean Corcos
Cette information jette à nouveau une lumière crue sur le Qatar, Émirat très proche de l'actuel gouvernement de notre pays, et dont le rôle apparait, une fois de plus, très ambiguë : soutien indirect des révolutions arabes par sa chaîne satellitaire Al-Jazeera, il se comporte ici de manière abjecte par rapport à une réfugiée sur son territoire, victime des sévices des sbires de Kadhafi ... et alors même que les Qataris participent officiellement aux opérations militaires ; mais de manière plus que symbolique, avec quelques avions !