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15 juillet 2007

Jacques Chirac, ou "la grande illusion"

Photo souvenir prise à l'entrée de l'exposition
"le Temps des Rafles", mars 1992
Jacques Chirac, Maire de Paris,
inauguration de l'exposition, 27 mars 1992

C'était il y a un peu plus de quinze ans (que le temps passe vite !).

Les deux personnages (en ne parlant pas de la responsable des activités culturelles de l'Hôtel de Ville de Paris photographiée à la gauche du Maire de l'époque, et dont j'ai malheureusement oublié le nom) sont donc, notre ex-Président - même pas sexagénaire à l'époque - et, sur la photo du dessus ... votre serviteur, lui aussi beaucoup plus jeune : vous avez compris que je vais, enfin, vous parler du contact personnel que j'ai eu avec Jacques Chirac, ce contact évoqué à plusieurs reprises sur ce blog ; et dont je ne voulais pas parler, par pudeur tant qu'il était encore à la tête de l’État - mais que je peux faire tranquillement aujourd'hui, deux mois après son départ de l’Élysée.

Mais d'abord quelques mots pour me situer personnellement à cette époque là. Non pas par petite vanité personnelle, mais d'abord par respect pour les lecteurs du blog qui auraient un peu le tournis, en me voyant ici associé à une exposition sur la Shoah, alors que mon émission et son site support ont une toute autre thématique. A cette époque donc, plus précisément depuis la fin des années 80, le "virus juif" qui m'a contaminé dès la sortie de l'adolescence - et m'a toujours fait naviguer à titre bénévole dans le domaine culturel (et jamais dans le cultuel ou les jeux de pouvoirs communautaires) -, ce virus donc m'a fait traverser une période "Shoah" : à force d'avoir dévoré des tas d'ouvrages historiques, à force d'avoir eu la chance de côtoyer d'autres "mordus" (y compris un collectionneur exceptionnel de documents des années noires, Gérard Silvain, lui-même petit-fils de déporté), j'ai eu envie de transmettre au maximum de gens les mécanismes de l'horreur que j'avais découverts ; et je me suis enhardi en proposant à Serge Klarsfeld de monter, sous sa direction, une grande exposition commémorant le cinquantenaire de la déportation des Juifs de France. Je réalise à distance la chance exceptionnelle que j'ai eu, alors, d'être pris au sérieux par une autorité à la fois historique et morale comme lui ; et ensuite, donc, de travailler de façon acharnée sous l'autorité d'un homme qui avait été à la fois le bâtisseur de la mémoire juive de la déportation en France ; le militant exceptionnel ayant permis qu'elle soit reconnue et enseignée dans notre pays ; et l'avocat ayant obtenu la capture et le jugement de bourreaux emblématiques, de Lischka à Barbie en passant par Papon.

Je n'avais alors comme modeste référence que l'organisation en 1983 d'une exposition qui avait eu un petit succès au petit "Musée d'Art Juif de Paris" (l'ancêtre du M.A.H.J), exposition consacrée au centenaire de Franz Kafka. Mais donc, en 1989, Serge Klarsfeld songeait lui même à une grande exposition pour mieux faire connaître au grand public les persécutions antisémites sous Vichy et l'Occupation ; et il a été intéressé par le premier canevas proposé par Gérard Silvain et moi-même. Secrétaire général, à l'époque, du C.D.J.C ("Centre de Documentation Juive Contemporaine", ancêtre de l'actuel "Mémorial de la Shoah"), il allait rapidement aider à constituer une équipe, à laquelle s'est joint le Secrétaire général adjoint du Centre, Hubert Cain. Restait à trouver le lieu, qui devait être bien entendu public et non communautaire ; et les soutiens, à la fois financiers et logistiques, pour que ce soit une grande et belle exposition. C'est alors que je découvris la distance (pour faire court) qui séparait Serge Klarsfeld du Chef de l’État de l'époque, François Mitterand. Cinq ans avant que cette fin de règne ne soit éclaboussée par les révélations sur son passé "très à droite", son début de carrière à Vichy et surtout ses fidélités coupables envers le personnel politique de cette époque - au premier rang son ami René Bousquet, organisateur de la rafle du Vel d'Hiv -, je découvris donc que l'appui d'un Ministère voire même de la Présidence de la République n'était ni possible, ni moralement tenable pour un tel projet. En substance, je découvris alors - et avec plusieurs années d'avance également, car le fameux discours du "Vel d'Hiv" de Jacques Chirac devait être prononcé juste après son élection, soit en juillet 1995 - que le leader le plus sensible au drame de la Shoah, le seul qui croyait nécessaire son enseignement en France, était le Maire de Paris - "le plus courageux des hommes politiques français sur le sujet", comme devait le dire publiquement Serge Klarsfeld !

Passons donc sur la préparation de l'expo, qui "mangea" une bonne partie de mes week-ends et loisirs pendant quelques six mois, et sur le rude bonheur de coordonner une équipe d'une douzaine de réalisateurs, relisant avec mon illustre "directeur" les textes de la quarantaine de panneaux, définissant avec les services techniques de la Ville de Paris l'iconographie et les mises en pages, et coordonnant au final le plan média ... les quarante mille visiteurs qui se sont pressés dans les salons de l'Hôtel de Ville pendant les quelques semaines de l'expo furent la plus belle des récompenses ! "Le Temps des Rafles" (idée de titre heureuse qui m'était venue) fit ensuite le tour de France pendant plusieurs années, et les visiteurs se comptèrent au final par centaines de milliers. Mais, au delà de l’œuvre de Serge Klarsfeld et des F.F.D.J.F ("Fils et Filles des Déportés Juifs de France") qui se voyait ainsi couronnée, au delà de l'hommage aux disparus de la Shoah cinquante ans exactement après le départ du premier convoi en mars 1942, au delà des émotions fantastiques que j'ai connues alors - et qui m'ont donné l'impression que l'on pouvait faire "bouger les choses" à force de volonté -, je peux l'avouer aujourd'hui, cette exposition me laisse un souvenir un peu amer, m'évoquant le titre d'un film fameux, "La grande illusion" ...

"Grande illusion", car j'éprouvais alors une vraie admiration pour ce futur Chef de l’État, découvert (certes rapidement) à l'occasion de la réunion où il accepta de permettre cette grande exposition, lors d'une réception accordée à des responsables de la communauté dont le Président du CRIF de l'époque, Jean Kahn. Chaleureux, simple, direct. Réellement impliqué par notre projet, mettant tous les moyens de l'Hôtel de Ville à notre disposition, ... comment ne pas lui en éprouver de la reconnaissance ? Comment ne pas être touché par ce Maire d'une grande capitale, ayant visité et revisité l'expo, et parfois même accompagné des lycéens en visite guidée ? Le Chirac de l'époque annonçait vraiment celui du discours du Vel d'Hiv. Hélas, il n'annonçait pas (mais cela n'a rien à voir) le bilan décevant qu'il laisserait après douze ans de règne. Mais surtout, il n'annonçait pas le Président bien hésitant au début des agressions antisémites de 2000 à 2002, lorsque la communauté juive allait se sentir désespérément seule. Les mesures prises ensuite, la réaction de la police et de la justice ont été incontestables lors de son second mandat - mais les Juifs ont plutôt éprouvé de la reconnaissance pour le Ministre de l'Intérieur, celui-là même qui vient d'entrer à l'Elysée ...

"Grande illusion", aussi et hélas, devant la naïveté qu'il y avait, aussi, à oublier "Chirac d'Arabie", le personnage évoqué ici dans des articles reprenant des extraits du livre féroce du même nom. N'insistons pas : au delà des amitiés douteuses ou des intérêts, j'y vois surtout le Chirac sentimental, celui qui prend par instinct la défense de ceux qu'il estime les plus faibles : pauvres persécutés de la Shoah, honorés à titre posthume comme ils le méritaient, certes ; mais aussi, "pauvres Palestiniens", jugés plus sympathiques que les Israéliens, les "Goliath" d'aujourd'hui - avarie connue, qui explique l'absence presque totale d'empathie des Français, et au delà, hélas, de la majorité des Européens vis à vis de l’État juif dont on ne veut pas voir la fragilité. Jacques Chirac a fait passer, directement ou par ses réseaux de pouvoir ou d'information, la pire image qu'il soit de la partie du peuple juif indépendante dans son pays ; éclaboussant ainsi (même sans le vouloir), les Juifs d'ici, mal vus car refusant de hurler avec les loups : un splendide gâchis !

Mais "grande illusion" surtout, et au delà de Chirac, face au "politiquement correct" français, cette gangue intellectuelle qui anesthésie toute réflexion et dont je désespère de la moindre évolution (malgré l'élection de Nicolas Sarkozy), tant elle est partagée à la fois par la Droite et par la Gauche. En gros, je pensais (cf. la photo du haut) que, en présentant des photos comme celle devant laquelle je posais, le public aurait la maturité de traduire le fameux "plus jamais cela" en : "faisons tout pour éviter de donner du pouvoir à d'autres nazis". Pas seulement en refusant ses suffrages au Front National, par exemple, mais aussi en refusant de céder à d'autres menaces, sous d'autres couleurs ... par exemple, le "nazislamisme", négationniste et peut-être demain nucléaire de l'Iran. J'en doute beaucoup aujourd'hui, tant il parait difficile de faire reconnaitre en France des ennemis autres que l'Amérique, tellement haïe. Et puis, de façon plus directe, il y a eu une telle indifférence du public après les agressions physiques et morales dont ont a été abreuvée la minorité juive vivant ici, que je ne suis plus certain des vertus pédagogiques des expositions, livres et films innombrables produits sur la Shoah : verser quelques larmes en souvenir d'autres Juifs, ceux-là tués il y longtemps, ne coûte pas trop cher ; et dispense d'une vraie solidarité envers les Juifs menacés d'aujourd'hui.

Jean Corcos