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23 mai 2019

Toulouse. « L’islam radical reste présent et inquiétant dans les quartiers »


Selon Christophe Miette, commandant de police et responsable syndical en Occitanie, Toulouse est loin d'en avoir fini avec l'Islam radical, sept ans après les attentats de Merah.

Depuis 2012 et les attentats de Mohamed Merah puis la mise à jour de la fameuse filière djihadiste d’Artigat (Ariège, au sud de Toulouse), la Ville rose est identifiée comme un foyer important de l’islam radical en France.
Tandis que vient de se terminer le second procès – en appel – d’Abdelkader Merah, Christophe Miette, commandant de police et responsable régional du syndicat des cadres de la sécurité intérieur (SCSI), lequel fut par ailleurs l’un des enquêteurs lors des attentats de Toulouse, accepte de décrypter et quantifier les rouages du salafisme à Toulouse

Actu Toulouse : Sept ans après les attentats de Mohamed Merah et alors que toutes les figures de la nébuleuse d’Artigat (Ariège, au sud de Toulouse) sont décédées ou sous les verrous, Toulouse en a-t-elle fini avec l’islam radical et violent ?
Christophe Miette : Non et il ne suffit pas de neutraliser un ou des leaders charismatiques, tutélaires, comme Fabien Clain récemment tué en Syrie, pour mettre fin à ce que j’assimile à une secte.
L’islam radical, à Toulouse, est comme l’Hydre de Lerne, vous savez cette créature de la mythologie grecque possédant plusieurs têtes qui se régénèrent doublement lorsqu’elles sont tranchées. L’islam radical reste présent et inquiétant dans les quartiers. 

Plutôt Al-Jazeera que NRJ 12

Actu Toulouse : sur quels éléments vous basez-vous pour dresser ce constat ?
C.M. : Nous observons une propension des salafistes à installer leurs idées dans les quartiers. Les faits sont multiples. Il y a clairement du prosélytisme sur les marchés mais également, sous couvert de travail associatif, des organismes ou personnes qui mettent la pression :
Nous connaissons le cas d’un cafetier interdit de servir de l’alcool ou un autre prié d’interdire à son épouse d’être derrière le comptoir. Nous savons aussi que certains « kebabs » sont fermement « invités » à diffuser Al-Jazeera plutôt que NRJ12 sur les écrans de leurs commerces… 
Le phénomène des écoles coraniques qui, au prétexte de soutien scolaire, expriment des propos tendancieux, est également une réalité. Depuis quelques temps, c’est aussi à travers le sport que rampe la violence du radicalisme, via des personnes originaires de l’Est, principalement de Tchétchénie. 
Ces pressions s’ajoutent à la puissance d’internet qui, depuis des années, propage le radicalisme. 

Toulouse plus concernée que Marseille

A.T.: Cette réalité est-elle plus importante que dans d’autres grandes villes françaises ?
C.M.: La zone de défense et sécurité sud, comprenant les régions Occitanie et Provence-Alpes-Côtes d’Azur (PACA) capte à elle seule 50 % des affaires liées à l’islam radical en France. L’Occitanie est davantage concernée que la région PACA. Il y a des foyers particulièrement importants comme Toulouse ou Lunel
Toulouse est plus concernée par l’islam radical que Marseille, par exemple. Pourquoi ? On ne l’explique pas forcément, sinon au travers de l’histoire : l’Occitanie a toujours été un fort point de radicalisme divers et varié. Au départ, c’est notre faute. Pendant des années, on a acheté la paix sociale en laissant les autorités religieuses régler les phénomènes de petite délinquance à notre place. On s’est ensuite rendu compte que nous avions à faire à du radicalisme… Toutes les institutions sont fautives et ont agi par naïveté.
Toutefois, la situation n’est pas forcément plus inquiétante à Toulouse qu’ailleurs. Le phénomène est suivi, la pression policière réelle. 
Base arrière et financière du djihadisme
A.T.: Toulouse est un foyer important de radicalisme selon vous, pourtant la Ville rose n’a pas été concernée par un attentat depuis les tueries de Merah en 2012. Comment l’expliquez-vous ?
C.M. : Toulouse est une base arrière du djihadisme. La filière d’Artigat d’Olivier Corel le montre : elle a formé des djihadistes partis combattre au cœur de ce que fut l’Etat islamique. La forte porosité avec le trafic d’arme et le trafic de stupéfiants pour assurer le financement du djihadisme, le confirme. Un attentat local aurait été déstabilisant pour cette organisation bien huilée.
A.T.: Pourtant Merah l’a fait…
C.M.: J’ai une analyse assez personnelle de son passage à l’acte : je crois qu’il avait quelque chose à prouver à son frère Abdelkader. Mais si l’on regarde son parcours, l’on voit un djihadiste qui tente de partir combattre à l’étranger. On voit aussi qu’il braque une banque à L’Union, entre ses deux tueries à Montauban et Toulouse, pour alimenter les fonds de la filière toulousaine
A.T.: Islam radical, trafic d’armes, trafic de drogue.. On a un peu de mal à comprendre comment, avec les moyens modernes, police et justice n’en viennent pas à bout !
C.M.: L’Etat est dépassé. Nous sommes dépassés. Les armes ? La chute du bloc de l’est combinée à la perte progressive des frontières a favorisé un important trafic. Les stupéfiants ? Ils génèrent des millions pour les délinquants désormais organisés en de vraies sociétés commerciales clandestines. Dans ces supermarchés de la drogue, vous coupez une tête, il en repousse cinquante ! Concernant le traitement de la radicalisation nous avons un problème : les renseignements, après plusieurs années de difficultés sur ces questions-là, font désormais très bien leur travail. Mais il reste très difficile de judiciariser les cas qu’ils soumettent à la justice. Nous sommes dans de l’idéologie et souvent les faits ne sont que des paroles… 
Plus largement, seule, la police ne peut pas tout résoudre. Il faut envisager des partenariats plus forts avec les bailleurs sociaux, avec la ville de Toulouse. Tout le monde doit être acteur du mieux vivre en ville. Une porte d’immeuble cassée doit se remplacer, un tag doit être effacé. 
Enfin et surtout, l’éducation doit retrouver toute sa place. En famille d’abord. Au sein de l’école ensuite. 

60 combattants de l’EI originaires d’Occitanie

A.T. L’Etat islamique est vaincu et la question du retour des combattants se pose. A combien estimez-vous le nombre de personnes originaires d’Occitanie partis combattre et donc susceptible de revenir ?
C.M.: Une soixantaine de combattants de l’EI seraient originaires d’Occitanie. Nous ignorons combien peuvent revenir, s’ils ont construit, là-bas, une famille et si ces familles sont également sur le retour… Cette situation inquiète car même les psychiatres ne savent pas dire quel pourrait être le traumatisme d’un enfant, dont le cerveau est finalement un disque dur vierge, confronté à de pareilles violences. 
On ne sait pas déradicaliser. Ce n’est pas une maladie, c’est une idéologie politique. Regardez les nazis : 70 ans après la chute du Troisième Reich, les démocraties luttent encore contre ce mal…
A.T.: Quel est le moral des forces de l’ordre face à cela ?
C.M.: Nous sommes désabusés, je le crois, mais combatifs. On veut défendre notre société coûte que coûte. Nous demandons aussi que la prise en compte de ces phénomènes comme leur pénalisation ne soit plus l’enjeu de « guéguerre » politiciennes. Il doit y avoir une réflexion pour avancer de façon posée et consensuelle. La République doit avoir les moyens de lutter et doit se poser les bonnes questions. Par exemple celui du financement des lieux de cultes afin d’éviter le sponsor d’états du Moyen Orient. La République doit aussi donner de l’espoir. Il faut accélérer la reconquête de ces coins de France où il n’y a plus d’espoir
Vous savez, quand vous avez un travail, que vous partez en vacances avec vos enfants, vous croyez au bien-fondé de la démocratie et vous ne vous tournez pas vers quelconque radicalisation
A Toulouse, fort bassin d’emplois, je crois que nous sommes capables par de bons partenariats de réinvestir le sort des populations fragilisées. Et de redonner de l’espoir. La politique doit agir.
Enfin, la géopolitique sera déterminante. Sur ce terrain, nous avons besoin d’une Europe forte. Et de nous méfier de nos interventions. 

Pascal Pallas,
Actu Toulouse, 25 avril 2019