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18 janvier 2015

Les sept chantiers prioritaires de la lutte contre le terrorisme islamiste



Pour Hugues Moutouh le réveil des Français doit entraîner les politiques à s'attaquer avec la plus grand fermeté à la menace terroriste. Il donne sept pistes prioritaires.

Aujourd'hui, les responsables politiques, à l'instar de tous les Français sont profondément et sincèrement bouleversés. Nos compatriotes ont décidé de manifester leur rejet de ces actes sanglants qui viennent d'endeuiller la France en descendant dans la rue. Nous assistons ainsi à Paris, comme dans toutes les grandes villes du pays à de vastes rassemblements populaires. L'émotion est à son comble…mais après? Au risque de déplaire, cette communion nationale ne servira à rien si des mesures énergiques ne sont pas rapidement adoptées dans la foulée. A entendre les premières déclarations des hommes politiques, le pire est à redouter. Ces nouvelles tueries n'auront donc fait bouger aucune ligne? Disons-le tout haut: nous attendons de nos représentants qu'ils prennent leurs responsabilités et agissent pour assurer pleinement notre sécurité, la préservation de nos valeurs et de notre mode de vie.
En tant que citoyen français, j'attends que demain, les députés de tous bords, du parti communiste au Front national, interpellent le gouvernement, sans esprit partisan aucun, mais la volonté de défendre au mieux l'intérêt de la nation. En effet, c'est le pouvoir exécutif et personne d'autre, qui est chargé de déterminer et de conduire la politique de la nation.
Mes questions sont simples:

1°) Allez-vous donner aux services de renseignement les moyens aujourd'hui nécessaires à leur fonctionnement?
Avant de juger leur difficile travail et de faire publiquement leur procès, il faut d'abord connaître quelques vérités essentielles à leur sujet. Qui sait que la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), en charge notamment du contre-terrorisme, ne fonctionne qu'avec un budget de 47 M d'euros (hors dépenses de personnels), soit moins que ce qu'une ville comme Lyon consacre à ses actions culturelles? La progression malheureusement exponentielle des nouveaux réseaux terroristes ne s'est pas traduite, ces dernières années, notamment depuis la crise syrienne, par un transfert de crédits. Or il ne faut pas être un spécialiste pour comprendre que surveiller 1000 ou 5000 personnes ne représente pas exactement le même coût! Il faut non seulement des agents pour gérer les écoutes techniques, mais aussi des analystes pour faire le tri et, sur le terrain, des équipes pour surveiller les cibles. Quand on sait qu'il faut en moyenne 20 fonctionnaires pour suivre 24h sur 24h une seule personne, on imagine les moyens colossaux qu'il faudrait mobiliser pour assurer sérieusement le suivi de tous ceux qui présentent un risque pour la sûreté de l'Etat et du territoire. 

2°) Allez-vous par ailleurs donner aux services de renseignement les moyens juridiques dont ils ont besoin aujourd'hui pour prévenir les actions terroristes?
Le cadre actuel, essentiellement judiciaire, n'offre pas suffisamment de ressources à ceux dont le métier est de traquer les terroristes avant qu'ils ne passent à l'acte. L'exemple de Merah et des frères Kouachi est éloquent. Pendant leur surveillance, les agents de renseignement n'ont pas réussi à réunir suffisamment d'éléments pour les déférer au parquet et engager une procédure judiciaire classique. Il faut donner la possibilité aux services, en dehors de la procédure pénale habituelle, d'arrêter et d'interroger les individus dont on a toutes les raisons de penser qu'ils préparent une action, alors même qu'il n'existe à leur encontre encore aucune preuve tangible. Les législations anti-terroristes anglo-saxonnes (Patriot Act, Terrorim Act…) prévoient toutes la possibilité pour l'administration de détenir pendant une période plus ou moins longue, à titre préventif, les personnes dont l'activité présente un risque grave pour la sécurité et l'ordre public, même en l'absence de preuves. Cette détention administrative place justement les agents en position idéale pour collecter les preuves nécessaires à leur déferrement devant la justice. On pourrait tout à fait introduire en droit français ce genre de mesures, sous le contrôle d'un juge spécial qui serait compétent pour prolonger la détention qui ne pourrait pas excéder un délai d'un mois par exemple. Un préfet peut, à certaines conditions, ordonner l'internement d'un malade psychiatrique en raison du risque qu'il représente pour lui et la société, et le ministre de l'Intérieur ne pourrait rien faire pour un possible terroriste? Où est la logique ? 

3°) Allez-vous réformer les accords de Schengen?
Un espace de libre circulation au sein des pays membres, des frontières extérieures qui sont de véritables passoires…quel monde idéal pour les terroristes et djihadistes! Le code Schengen expose clairement qu'on ne peut contrôler systématiquement les européens à l'entrée et à la sortie. On ne peut vérifier les noms sur toutes les bases de données. On peut seulement contrôler les passeports, et encore, que de façon ponctuelle !

4°) Allez-vous reconnaître que le désarmement pénal de la France, conduit par l'actuelle ministre de la Justice, est un obstacle majeur à la préservation de la sécurité des Français ? 

La question n'est pas hors-sujet: les frères Kouachi, Coulibaly, Mérah, etc. étaient tous des délinquants avant de basculer dans l'action terroriste. Le terrorisme islamiste trouve la majeure partie de ses bataillons dans l'islamo-délinquance. Refuser de le voir, pour des raisons d'angélisme ou d'idéologie est impardonnable. Jusqu'à preuve du contraire, rien n'a été inventé de mieux pour empêcher un individu dangereux de sévir que de le maintenir le plus longtemps possible en prison. Il faut plus de sévérité dans le prononcé des peines et, surtout, ne pas détricoter en aval les peines prononcées en amont. Or, dans notre pays, tout est fait, aussitôt la peine de prison prononcée, pour en diminuer le quantum par les mécanismes de réductions de peine, et en changer la nature par le biais des aménagements de peine...autant d'euphémismes pour défaire ce qui a été fait! Comment expliquer que Chérif Kouachi et ses acolytes soient sortis de prison si vite après y être entrés ?

5°) Qu'allez-vous faire pour ces dizaines de dangereux terroristes, grands et petits, qui purgent en ce moment leurs peines dans nos prisons ?

Qu'avez-vous prévu à leur sortie? Là encore, il faut changer de modèle et décider que même après avoir effectué leur condamnation, les personnes jugées pour des actes de terrorisme peuvent être internées dans des centres spéciaux de détention le temps nécessaire. Qui peut croire en effet qu'un islamiste fondamentaliste dont l'objectif est de détruire notre société acceptera de rentrer dans le rang après 3, 5 ou 10 ans de prison? Ce n'est pas la seule prise en compte du délit qui doit guider notre réflexion, mais la dangerosité de leurs auteurs, autrement dit le risque de récidive. 

6°) Va-t-on continuer longtemps à considérer qu'Internet, qui est l'une des principales sources de radicalisation de nos jours, ne peut et ne doit faire l'objet d'aucune régulation ?

Le gouvernement doit en finir avec les «tuyaux de la haine». Le sujet est certes complexe, mais ne rien faire est impensable. Le web est un facteur d'accélération du crime, tous les services de police du monde vous le diront. Il faut prévoir le blocage des sites présentant un risque grave et mettre au pas les géants du net afin qu'ils collaborent plus activement. Impossible? Demandez aux Chinois! Les solutions existent. Il suffit d'un peu de courage, de détermination…et, bien sûr, de discernement. 

7°) Last but not least, qu'allez-vous faire face au développement de l'islam radical dans notre pays? Quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour endiguer son essor ? 

Le politiquement correct interdit aujourd'hui en France d'établir un lien, pourtant évident, entre le terrorisme dont nous sommes les victimes et une certaine forme de l'Islam. Nos voisins algériens, de l'autre côté de la méditerranée, n'ont pas ce genre de pudeur. Bien sûr, l'Islam revendiqué par les tueurs fous des rues de Paris et d'ailleurs, n'a pas grand-chose à voir avec celui pratiqué par la grande majorité de nos compatriotes de confession musulmane. Il n'en demeure pas moins que c'est bien dans cette très large communauté, réelle ou virtuelle (l'islam 2.0), que se recrutent terroristes et djihadistes. Sans stigmatiser les musulmans de France, il faut suivre de près l'évolution de certaines manifestations de leur foi, apprendre à distinguer les signes d'extrémisme derrière les discours prétendument traditionnalistes, être à même de déchiffrer les ambiguïtés et les comportements déviants. Tous les tenants d'un islam radical et littéral ne sont certes pas des terroristes. Mais tous les terroristes sont les promoteurs de cette conception particulière de l'Islam. Pendant combien de temps encore cette idéologie religieuse et politique bénéficiera de la protection aveugle de nos lois? Pendant combien de temps encore va-t-on permettre la diffusion d'une doctrine à ce point contraire aux valeurs de la République? 

Tribune de Hugues Moutouh dans "Le Figaro"

11 janvier 2014

Hugues Moutouh a été conseiller spécial du ministre de l'Intérieur au moment de l'affaire Merah, puis préfet. Il est désormais avocat. Il est l'auteur de 168 heures chrono: la traque de Mohamed Merah.