Khaled Abou Toameh
Khaled Abou Toameh, journaliste arabe israélien et
palestinien, était récemment de passage à Paris. Il porte un regard sceptique
sur les chances des négociations de paix et la capacité de Mahmoud Abbas de les
conduire.
C’est
peut-être parce que les négociations entre Israéliens et Palestiniens semblent
sans issue que Khaled Abou Toameh a pris l’habitude de détendre ses auditoires
avec quelques blagues, une façon de démontrer par l’absurde quels sont les
obstacles au processus de paix.
"Je
suis un journaliste arabe israélien, ou un journaliste israélien arabe ou un
Arabe israélien journaliste, vous pouvez intervertir les adjectifs comme il
vous plait. Tout me va". Le quinquagénaire, invité par le sénateur de
Paris Yves Pozzo di Borgo, jeudi dernier, au Palais du Luxembourg, ne laisse
aucune ambiguïté sur son attachement à l’État hébreu. "C’est parce que je
vis en Israël avec les juifs que j’ai le droit de m’exprimer librement. À
Ramallah, je ne l’aurais pas fait. Si je parlais de négociations de paix à
Ramallah, j’aurais de la chance de ne recevoir qu’une balle dans la
jambe."
Khaled
Abou Toameh est né d’un père arabe israélien et d’une mère originaire de
Cisjordanie. Depuis plus d’une douzaine d’années, il publie analyses et
reportages dans le Jerusalem Post, journal placé plutôt à droite. Il produit
également des reportages télé pour la chaîne américaine NBC News et, en
parallèle, accompagne des journalistes à travers la bande de Gaza et la
Cisjordanie, organisant des rencontres avec, notamment, des leaders du Hamas.
Pourtant il y a trente ans c’est au journal de l’Organisation de libération de
la Palestine (OLP) qu’il a commencé sa carrière.
"Après
avoir obtenu mon diplôme, j’ai décidé de quitter la "Pravda" locale
pour écrire dans la presse libre," poursuit le journaliste, diplômé de
l’université hébraïque de Jérusalem. Après un virage à 180 degrés, il est
aujourd’hui un contributeur incontournable du "Think Tank" américain
Gatestone Institute, réputé de droite et plutôt pro-israélien. Il parcourt le
monde, défendant des thèses qui ne déplaisent pas aux juifs d’Israël et de la
diaspora. C’est ainsi qu’il a donné une conférence au Sénat français, avant de
repartir en Israël et reprendre ses critiques à l’encontre du leadership
palestinien, qu’il juge impuissant et corrompu.
"Les
dirigeants palestiniens ne veulent rien céder"
Sur
les négociations de paix en cours, il n’a aucune illusion. "Mahmoud Abbas
est-il légitime pour négocier un accord de paix ? Il a entamé la dixième année
de son mandat de quatre ans", raille-t-il, provoquant les rires de son
auditoire. "D’ailleurs, même si Abbas signe un accord, où va-t-il le faire
appliquer ? Dans son quartier de Ramallah ? Il ne contrôle rien. Il ne peut
même pas accéder à sa propre maison à Gaza [territoire contrôlé depuis 2007 par
ses rivaux du Hamas, NDLR]."
Non,
les négociations n’ont aucune chance d’aboutir, ni avec Mahmoud Abbas, ni avec
le reste du leadership palestinien, selon le reporter, qui soutient qu’aucun
leader arabe ne se sent autorisé à céder quoi que ce soit aux Israéliens. Et de
citer en exemple l’ancien "Raïs" Yasser Arafat, qui avait rejeté en
2000 le marché roposé par le Premier ministre israélien de l’époque, Ehoud
Barak, à Camp David, aux États Unis. "Je suis allé avec d’autres
journalistes arabes demander à Yasser Arafat pourquoi il n’avait pas accepté
l’offre, poursuit-il. Il nous a répondu : ‘ils ne m’ont pas donné 100% de ce
que je demandais.’ Lorsqu’on lui a demandé combien de pourcentages Barak avait
offert, il a répondu ‘95%’"
Selon
le journaliste, Arafat aurait ajouté : "Je n’ai aucune intention de
prendre le thé avec Anouar el-Sadate dans l’au-delà" [le défunt président
égyptien avait été assassiné trois ans après la signature, en 1978, d’un accord
de paix avec Israël, NDLR]. Conclusion de Khaled Abou Toameh : pour conclure un
accord, il faudrait que les Israéliens acceptent "100% des exigences de
l’Autorité palestinienne", notamment un retrait complet des territoires
conquis en 1967. Une idée qui ne semble pas séduire l’auditoire,
majoritairement proche d’Israël.
"L’Europe
doit poser des conditions à ses subventions"
Pour
le journaliste, la situation s’est dégradée depuis les accords d’Oslo de 1993 :
la presse des Territoires est encore muselée et les Palestiniens sont abreuvés
de propagande anti-israélienne, "largement subventionnée par l’Union
européenne.". Khaled Abou Toameh conseille ainsi à son public de faire
pression sur l’UE pour qu’elle change d’attitude vis-à-vis de l’Autorité
palestinienne. "L’Europe paie les salaires de 160 000 Palestiniens. Je ne
dis pas qu’il faut qu’elle arrête, mais elle peut au moins poser certaines
conditions à ces subventions".
Le
reporter juge toutefois la paix possible, à condition "qu’Israéliens et
Palestiniens restent séparés". Sollicité par FRANCE 24 sur la question du
droit de retour des réfugiés palestiniens, il répond qu’"il ne faut pas
oublier les réfugiés juifs qui ont dû quitter des pays arabes. Il faut en tenir
compte dans les négociations". Surtout, Khaled Abou Toameh, qui jure
n’être "ni pro-palestinien, ni pro-israélien", insiste sur ce qu’il
ne faut pas faire : un nouveau retrait unilatéral d’Israël. Selon lui, les
retraits du Sud-Liban, de la bande de Gaza, et de quatre implantations de
Cisjordanie, ont été interprétés comme une défaite d’Israël, et ont encouragé
le Hamas à poursuivre sa lutte.
À
qui accuse Israël de pratiquer une politique d’apartheid, le journaliste répond
: "La situation n’est évidemment pas parfaite, mais nous avons des droits
que les Palestiniens n’ont pas dans les pays arabes de la région. J’habite dans
un quartier juif à Jérusalem, mes filles peuvent aller à l’école juive, par
contre au Koweït, mes amis palestiniens n’ont pas le droit d’acheter une
maison". Et d’ajouter: "Si vous trouvez un Arabe israélien qui veut
partir vivre dans un État palestinien, amenez-le moi."
Site
de France 24, 22 mars 2014