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04 décembre 2006

Israël entre trois guerres civiles - ou "Les affaires reprennent"

Introduction :
Isabelle-Yaël Rose est de retour ! Après un long silence de plusieurs semaines où elle a été bien occupée, elle reprend sa collaboration avec le blog, en m’envoyant un article très riche sur l’Orient compliqué, où trois guerres civiles - une chaude en Irak, deux larvées au Liban et dans les Territoires Palestiniens - sont en train de modifier le paysage. Bonne lecture !
J.C

Tout le monde se rappelle, le plus souvent pour la railler, de la formule que le Président Bush avait utilisé pour définir l’initiative qu’il nourrissait pour le Moyen-Orient : « un nouveau Moyen-Orient démocratique et pacifié ». Aux lendemains de la visite de Condolezza Rice, il semble que l’administration américaine soit très loin d’avoir accompli le grand projet qu’elle promettait.

La situation politique en Irak ne cesse de se compliquer, qui voit les attentats - toujours très sanglants - se multiplier. On ne compte plus le nombre de soldats américains et de civils irakiens qui sont quotidiennement assassinés. Jusqu’à des agents français de la DGSE pris pour cible à bout portant dans une attaque non moins choquante. De plus en plus d’observateurs, tout à fait objectifs et dénués de tout « anti-américanisme primaire » reconnaissent que les massacres entre Chiites et Sunnites ont pris le caractère d’une vraie guerre civile - même si les seconds en sont les principaux responsables, d’abord par leur long écrasement du reste de la population sous Saddam Hussein, puis par leur soutien silencieux ou actif à la succursale irakienne d’Al-Qaïda. Ce déchaînement prouve que dans une région où la violence est une arme politique comme une autre, où la multiplicité des acteurs locaux est encore compliquée par la présence d’acteurs étrangers qui luttent pour conserver ou reconquérir leur influence, rien ne peut être fait dans la facilité ni rapidement. Tous les acteurs, sans distinction, sont menacés de payer chaque pas au prix le plus fort : en l’occurrence, la mort violente.

Le Liban le sait bien qui a déjà vu, il y a vingt ans, à quoi ressemblait une guerre civile. Tout avait déjà commencé par des assassinats entre les grandes familles chrétiennes qui se disputaient très âprement gouvernement et autorité. On rappellera seulement la rivalité qui avait opposé le clan Aoun à celui des Gemayel, et qui avait fini par le « départ précipité » du général Aoun vers la France à la fin de l’année 1990. A cette époque, l’ancien Président Amine Gemayel était lui-même encore en exil à Paris, Aoun s’était mis à dos une partie des chrétiens en faisant bombarder par l’armée libanaise les places-fortes des « Forces Libanaises » qui n’avaient pas encore été désarmées, tout en étant lui-même le symbole de la résistance nationale face à l’occupant syrien ... qui n’était pas encore revenu dans la Capitale. Puis, et après l’essai de quelques Premiers Ministres « liquidés » après usage, vint l’ère Hariri ... jusqu’à la brouille fatale de 2004 avec le Président Émile Lahoud. Puis Rafik Hariri fut assassiné au début 2005 ... et cela ressemblait à un macabre coup de sifflet. Un an après, Pierre Gemayel (le fils d’Amine) devait le suivre dans la tombe. Comme on ne prête qu’aux riches - et sans doute avec raison - tous les regards du monde se sont tournés vers la Syrie. Seule l’enquête de l’ONU pourra déterminer les responsabilités et les complicités étrangères impliquées dans ces deux crimes. Lesquels ont eu pour effet de remettre le clan Aoun en selle. Sorti aussi brutalement de son exil français qu’il y était entré, Michel Aoun vient de faire un retour en fanfare au Liban : il participe très activement à la tentative de coup d’État organisée par le Hezbollah et appelle à un gouvernement d’union nationale avec ce même Hezbollah contre le gouvernement de Siniora. La démission des Ministres du Hezbollah à quelques jours de l’assassinat de Gemayel, sa mort violente après celle de Hariri, ont dressé une épée de Damoclès au dessus de la tête du gouvernement actuel, préparant efficacement le retour d’Aoun et sa place centrale dans la formation d’un nouveau gouvernement avec un allié naturel - ou de circonstance : l’organisation de Nasrallah. Tout laisse croire que ce nouveau gouvernement pourra bénéficier d’un large appui de la France ; et cela, même si elle se gardera bien de dévoiler son jeu en donnant des encouragements explicites qui iraient dans ce sens. En tous les cas, pas maintenant : d’une part, la France attend de voir où le vent tourne - car il peut tourner rapidement ; d’autre part, parce que l’un des arguments majeurs développé à l’intérieur de la population contre le gouvernement de Siniora est que celui-ci n’est qu’un pion des États-Unis ou de la France - les deux Satans - Aoun a donc intérêt à ne pas trop exhiber ses amitiés avec Paris. Plus encore maintenant qu’il a contracté de facto une alliance avec le Hezbollah. Cependant, n’oublions pas que la France a toujours été une militante très active au sein des organisations internationales pour empêcher l’inscription du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes. Comme elle a été à l’initiative d’un dialogue avec l’Iran, qu’elle poursuit imperturbablement, alors que le Ministre des Affaires Étrangères russe lui même durcit le ton. Enfin, malgré une distance officielle de prudence prise avec la Syrie, la France y est toujours restée influente.

C’est en revenant d’un voyage en Syrie que Khaled Mechaal, le véritable leader du Hamas, a fait des déclarations très provocatrices : arborant un très large sourire, prenant ses amis à témoin, Mechaal répondait à une conférence de presse que Guilad Shalit allait très bien et qu’il adressait ses salutations. Et de rire de son bon mot. Au même moment, Haniyé s’engageait avec Abou Mazen dans des négociations pour un gouvernement d’union et la signature d’un cessez-le-feu avec Israël. Ce qui avait pour effet désastreux d’isoler Mechaal, d’en faire un acteur de seconde classe - d’où la sortie médiatique et menaçante de ce dernier, appuyée le lendemain par une nouvelle provocation de l’Iran. Aujourd’hui, Abou Mazen déclare l’échec des négociations avec le Hamas autour de la formation d’un gouvernement d’union et prévoit la reprise des affrontements armés entre le Hamas et l’Autorité Palestinienne. Personne ne croit dans la durée du cessez-le-feu qui fonctionne - à peu près - depuis une semaine entre l’A.P, les factions armées et Israël. Haniyé, qui veut se poser comme interlocuteur modéré, mais dont les jours à la tête du gouvernement sont désormais comptés, a-t-il le choix ? Il semble que non. C’est que dans le Moyen-Orient, plus qu’ailleurs dans le monde, personne n’est libre de ses mouvements : pour la simple et bonne raison que chacun est toujours lié par tous les autres. Sans doute est-ce dans cette proximité entre la France, Aoun, la Syrie, Le Hezbollah, le Hamas de Mechaal et l’Iran qu’il faut chercher la raison des derniers revirements de la diplomatie américaine qui vient spectaculairement de faire la preuve qu’elle avait compris deux très grandes choses : aucun problème, palestinien ou irakien, ne pourra se résoudre si on ne résout pas en même temps tous les autres ; et la politique a horreur du vide ... d’où la nécessité de contracter de nouvelles alliances, ponctuelles, à l’occasion. C’est ainsi qu’elle vient de jouer très habilement de la peur de la Syrie et de l’Iran de rester isolées diplomatiquement pour les amener à nouer des relations avec le nouveau gouvernement irakien. Entre autre.

Quoiqu’il en soit, Israël se retrouve avec trois possibilités de guerres civiles à ses portes : l’une, déjà réelle, en Irak ; les deux autres, à Gaza et au Liban. Est-ce à dire que G.W.Bush avait tort du point de vue de la stratégie à long terme ? Pas le moins du monde. Partout, la vague démocratique a précédé la réconciliation entre les peuples, et les régimes brutaux, sanguinaires et despotiques de la majorité du Moyen Orient sont en eux-mêmes des obstacles à une vraie Paix. Cela signifie seulement que l’administration américaine avait sous-estimé le pouvoir de résistance de certaines influences qui sont prêtes à nous faire retourner vingt ans en arrière, à contre pied de l’histoire et du progrès, pour conserver leur pré carré. Mais une chose ne doit pas être oubliée : au Moyen-Orient, si rien ne semble changer, et si nous avons toujours le sentiment de revivre le même film avec un autre metteur en scène, la vitesse peut aussi s’accélérer, de nouveaux acteurs peuvent entrer en scène, et bouleverser totalement ce qui semblait déjà joué sur le papier. Les alliances vont et viennent, au gré des rapports de force et des intérêts ponctuels, qui obligent tous les acteurs à jouer sur tous les tableaux, en tous les cas dans le monde des apparences, de manière à ne se fermer aucune porte, jusqu’au moment où les choses deviennent plus claires. Tout indique que le moment est proche.

Isabelle -Yaël Rose 
Jérusalem, le 2 Décembre 2006.