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26 décembre 2007

Nadine Labaki, la crainte du regard des autres

Photo Bac Films, tirée du site du Figaro

Introduction :
Mieux connaître un pays, c’est savoir dépasser la pure actualité politique (souvent synonyme de violence pour le Liban), en s’intéressant à ses habitants, à leurs états d’âme ou aux tensions de leur société ... Et, là bas comme ailleurs, le cinéma nous offre un miroir sur la "vraie vie" lorsqu’il dépasse le pur divertissement. Parmi les sujets classiques du septième art, la condition féminine, dépeinte avec des accents de vérité lorsqu’une femme dirige la mise en scène : c’est probablement le cas du film de Nadine Labaki, dont une critique publiée dans le journal "le Figaro" m’avait interpellé et que malheureusement je n’ai pas encore eu le temps de voir - je vous la restitue donc ici.
A noter aussi - détail navrant - que ce film, intitulé "Caramel" est une coproduction franco-libanaise : il aurait du normalement être diffusé partout, et Israël avait été preneur ; mais en raison à la fois de l'insupportable intolérance des Libanais, et d'un laxisme français (car il existe une législation contre le boycott), cela n'a pas été possible. En sens inverse, la production israélienne "La visite de la fanfare" (une parabole sur le dialogue entre Juifs et Arabes, unanimement saluée par la critique et dont je parlerai à l'occasion d'un futur dossier), ne peut pas non plus être diffusée dans les pays voisins d'Israël.
J.C

La jeune réalisatrice met à nu la femme libanaise dans son premier long-métrage qui se déroule dans un institut de beauté à Beyrouth.

Un salon de beauté à Beyrouth. Autour de Layale, propriétaire de ce petit institut de quartier, les habituées se confient, entre coupes de cheveux et épilations au caramel. De génération, de milieu et de religions différentes, elles parlent sans tabou de leurs histoires d'amour, de leurs peurs, de leurs obsessions, de leurs désirs, de leurs contradictions.

Layale, chrétienne de 30 ans, vit un amour interdit avec un homme marié. Nisrine, musulmane de 28 ans, va se marier mais n'ose pas confier à son fiancé qu'elle a perdu sa virginité et songe à se faire recoudre l'hymen. Rima, 24 ans, est attirée par les femmes, quant à Jamale, la cinquantaine très retouchée, elle refuse de vieillir...

Avec Caramel, Nadine Labaki met à nu la femme libanaise et fait tomber les masques. « Je me suis toujours posé des questions à propos de la femme libanaise, oscillant moi-même entre deux mondes, la culture occidentale moderne, qui nous offre l'image d'une femme émancipée, et l'univers oriental, lourd de traditions, explique la réalisatrice. Chrétiennes ou musulmanes, nous subissons le poids de l'éducation rigide, de la religion toujours très présente. Nous avons la volonté de bien faire, de ne pas décevoir et vivons dans la crainte du regard des autres, dans la hantise du jugement. Le Liban est considéré comme un exemple d'ouverture, de libération, mais ce n'est pas toujours le cas. La femme libanaise n'est pas très bien dans sa peau. Elle cherche son identité, parfois à travers le jeu des apparences, et souffre de l'hypocrisie du système. »

À 33 ans, la Libanaise Nadine Labaki, qui s'est offert le rôle de Layale dans son film - « Je ne me rêvais pas comédienne, mais je prends peu à peu goût au jeu » -, semble pourtant être le parfait contre-exemple. Blouson de cuir et jean moulant, la jolie sylphide brune, a tout de la jeune femme indépendante. « Ma famille est chrétienne et libérale. Mais, sans doute parce que les liens familiaux sont extrêmement forts, on a toujours l'impression qu'on a des comptes à rendre. Je n'arrive pas à me libérer d'un sentiment de culpabilité. Le Liban est un petit pays, on vit en communauté. »

Son amour du cinéma lui a été transmis par son grand-père, « dans les années 1950, il avait une salle de cinéma dans le petit village de Baabdath. Je n'ai malheureusement pas connu cette époque, mais j'en ai entendu parler à travers ses récits et ceux de mon père, qui a eu une enfance identique à celle du gamin de Cinema Paradiso. »

C'est grâce à 11, rue Pasteur, son court-métrage de fin d'études de treize minutes, qu'elle s'est fait connaître dans les festivals. « Ce premier succès m'a donné le courage de continuer. Au Liban, il n'y a pas d'industrie cinématographique, de route toute tracée. Le seul moyen d'avoir une caméra entre les mains, c'est de réaliser des pubs et des clips. Le terrain parfait pour se livrer à toutes sortes d'expérimentations. » Sa première réalisation, Caramel, dont elle a écrit le scénario, loin de Beyrouth, dans le cadre de la Résidence du Festival de Cannes, a un petit air de Vénus Beauté (Institut), « la seule similitude entre nos deux films, souligne-t-elle c'est que l'action se déroule dans un institut, sinon le contexte est très différent. » Les couleurs pop, très « almodovariennes » donnent du piquant à cette comédie sentimentale, à ce portrait de femmes, doux et amer, de sucre et de citron, comme la pâte épilatoire orientale. Nadine Labaki, qui a donné le dernier tour de manivelle une semaine avant le début du conflit israélo-libanais, a d'abord, « comme d'habitude, culpabilisé. Le cinéma est une arme efficace. Et moi, je parlais des femmes, de la vie, alors que mon pays était en guerre. Je me suis sentie inutile. Avec le temps, je me dis que ma révolte, c'est de parler d'autre chose que de la guerre ». Sorti le 9 août dernier au Liban, Caramel est un succès. Une belle victoire.

Caramel Comédie sentimentale de et avec Nadine Labaki Yasmine al-Masri, Joanna Moukarzel, Gisèle Aouad, Sihame Haddad. Durée : 1 h 36.

Emanuelle Frois,
Le Figaro, 15 août 2007