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16 décembre 2007

« La main de Damas derrière le chaos », un article du quotidien « Daily Star » de Beyrouth

Une parente pleure le brigadier général
François al-Hajj dans une église de Baabda,
(photo AFP, 13 décembre 2007)
Introduction :
Je reproduis ci-dessous la traduction d’un article tiré du quotidien libanais en langue anglaise, le « Daily Star », traduction publiée dans le journal « Courrier International » le 1er février dernier. Merci à Albert Soued, le responsable du site « nuitdorient » en lien permanent, pour l’autorisation de sa reproduction.
Cet article date, c’est vrai, un petit peu. Mais les acteurs - Hezbollah, général Aoun, Syrie, Iran et gouvernement libanais - n’ont pas changé. Et l’enjeu de leur bras de fer non plus ... il suffit de penser au dernier attentat meurtrier qui a coûté la vie cette semaine à un officier de haut rang, le brigadier général François al-Hajj, qui aurait du succéder à la tête de l'armée à un autre officier, Michel Sleïmane, celui-là pressenti pour la Présidence de la République (voir illustration).

J.C

"La crise qui secoue le Liban prend sa source en Syrie", affirme le quotidien anglophone « The Daily Star ». Car le régime de Bachar El-Assad veut empêcher la formation d’un tribunal international dont il serait le principal accusé.
Pour la troisième fois en près d’un an, le Liban a évité la guerre civile, mais ce n’est qu’un répit. Si la mobilisation du Hezbollah est finalement restée dans les limites du contrôlable pour ce qui est de l’antagonisme entre chrétiens et sunnites ou entre sunnites et chiites, la récente grève et les violences qui ont suivi étaient, elles, assez proches de la guerre. Et si le Hezbollah s’est décidé à suspendre le mouvement, c’est bien parce qu’il a compris que la guerre serait inévitable si ces actions se poursuivaient ne serait-ce qu’une journée de plus.

C’est hors des frontières du Liban que résidait la vérité de l’instant : l’Arabie Saoudite et l’Iran s’efforcent actuellement de trouver une solution à la crise libanaise. Il y a quelques jours, Ali Larijani (secrétaire général du Conseil suprême de la sécurité nationale iranien) s’est rendu à Damas pour connaître l’opinion de la Syrie sur un projet d’accord. Les Syriens ont posé plusieurs conditions : que la cour chargée de juger l’assassinat de Rafic Hariri (ancien Premier ministre libanais) ne soit établie qu’une fois bouclée l’enquête des Nations unies, ce qui donnerait à l’opposition le temps d’obtenir un droit de veto au sein du gouvernement. Et que la nomination de ce tribunal soit également soumise à l’approbation du nouveau gouvernement, ce qui, en fait, permettrait aux alliés de la Syrie soit de bloquer l’institution, soit de la vider de sa substance. Les Saoudiens ont dit non, et Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, a riposté en faisant descendre ses partisans dans la rue.
Mais, dès la soirée du 23 janvier, les rôles étaient inversés. Le Hezbollah avait coupé la plupart des axes routiers entre les secteurs est et ouest de Beyrouth, ainsi que la route menant à l’aéroport. Ces actions témoignent d’une incroyable irresponsabilité. Non seulement le Parti de Dieu a renvoyé le Liban aux années de guerre, mais les sunnites de Beyrouth y ont vu comme l’intention de les enfermer dans Beyrouth-Ouest (à majorité musulmane).
Conscient qu’une confrontation directe entre sunnites et chiites était une ligne rouge que l’Iran se refusait à franchir, le Hezbollah a fait marche arrière. Cette réalité n’a cependant fait que souligner à quel point le mouvement chiite jonglait avec des priorités contradictoires. Peut-être les Iraniens ne tiennent-ils pas à semer une discorde sectaire, mais ce qui s’est passé la semaine dernière correspond à la partie syrienne de l’agenda du Hezbollah. Le principal obstacle reste le tribunal sur l’assassinat de Hariri et le refus de la Syrie d’en autoriser la mise en place. Personne n’est en mesure de dire comment Téhéran et Damas parviendront à concilier leurs objectifs antagonistes. On peut supposer que, les Libanais étant à deux doigts de s’affronter, et compte tenu des terribles implications qu’aurait un tel conflit pour le Hezbollah et pour sa réputation d’ores et déjà ternie dans le monde arabe sunnite, l’Iran rappellera à Nasrallah que c’est Téhéran qui paie ses factures. Par ailleurs, les Iraniens savent que le tribunal pourrait porter un coup fatal au régime syrien, privant la République islamique d’un atout majeur au Levant. Depuis six mois, le Hezbollah est en perte de vitesse. Au Sud-Liban, il a été neutralisé - pour le moment, du moins. Sa réputation est en lambeaux dans le monde arabe, où il est vu comme un suppôt de l’Iran. Et, sur le plan intérieur, le Hezbollah est plus que jamais considéré comme une menace pour la coexistence nationale et pour la paix civile. Rares sont les Libanais qui pensent que l’insistance que met le Hezbollah à participer au processus politique signifie qu’il ne représente pas des intérêts étrangers. Du reste, plus un seul rival politique de Nasrallah ne lui fait confiance.
Il faut également parler de Michel Aoun (général chrétien libanais allié au Hezbollah), grand perdant des manifestations du 23 janvier. Jusqu’alors, le général pouvait compter sur le soutien de nombreux indécis dans les rangs chrétiens. Mais la polarisation qu’il a provoquée en imposant une grève à tous a poussé beaucoup de ses coreligionnaires à se détourner de lui. Ce mois de janvier restera peut-être comme la date du naufrage d’Aoun. Le général aurait réussi à crisper même le patriarche maronite Sfeir, connu pour sa prudence.
A Paris, le Liban a reçu un soutien plus que nécessaire de la part de la communauté internationale. C’est une bonne nouvelle, mais ce n’est pas pour autant que la situation va s’améliorer dans l’immédiat. Jour après jour, Nasrallah confirme que ses tactiques sont plus aptes à porter tort au pays qu’à l’aider, pendant qu’Aoun brigue une présidence (de la République) qui lui échappera toujours. Mais, si nous avons de la chance, le système libanais de compromis intercommunautaire finira par l’emporter sur ce tandem irresponsable qui, à sa façon bien particulière, semble incapable d’en saisir les règles essentielles. »

Michael Young
« The Daily Star », Beyrouth