Hé, toi là ! Oui, toi là, le petit brun. Je te connais. Je me souviens de toi. Tu t’appelles Jérôme. Ou Cédric. Vincent peut-être. Ou Saïd je ne sais plus. Cyril ? Ok, si tu veux, Cyril. De toute façon, je te connais.
J’ai été à l’école avec toi. Je me souviens de toi. Ou d’un autre qui était tout pareil. Le petit mec à tête de fouine prêt à tout pour être populaire. Pas très fin, pas brillant, mais suffisamment vif et malin pour « sentir » ce qui allait faire marrer les autres. Ton truc, c’était l’effet de meute. Tu as toujours su te trouver des alliés, de préférences les costauds, les riches, les impressionnants, les tricheurs. Et pour t’attirer les bonnes grâces de la classe, tu n’as jamais hésité à t’en prendre à plus petit que toi. La fille intello-moche à lunettes, que tu faisais pleurer, le petit gros nul en sport que tu humiliais devant tout le monde. Tu étais exactement le genre de mec qui harcèle, qui s’acharne contre un plus faible, juste pour le plaisir de mettre les rieurs de ton coté. Tu as toujours aimé la facilité. Et puis, quand ta victime craquait, quand elle allait se plaindre aux profs ou bien lorsqu’elle se faisait vraiment taper dessus, tu te faisais d’un coup doucereux et innocent. Subitement tu n’avais plus rien à voir avec l’histoire. Ce n’était jamais toi qui avais frappé. Tu étais trop futé pour ça. Tu allais même jusqu’à prêcher l’apaisement, la main sur le cœur en assurant que tout ça n’était qu’un jeu et que jamais, tu n’avais souhaité de mal à quelqu’un.
Puis tu as grandi, tu as bossé ton image d’amuseur et perfectionné tes techniques. Tu es devenu un pro. De vannes en vannes, tu as peaufiné ton rôle de bouffon, entouré de souffre-douleur toujours consentants pourvu qu’ils prennent aussi un peu de ta lumière. Aujourd’hui, tu as réussi, tu as du pouvoir, tu es entouré d’une cour télévisuelle qui glousse servilement à chacune de tes saillies ineptes. Barbe bien taillée, costumes sur mesures ou blousons de cuir, tu soignes désormais ton look autant que ton carnet d’adresse.
En revanche, comme au bon vieux temps, tu as gardé tes sales habitudes. Pour faire « ton intéressant » et pour t’attirer les bonnes grâces de ton public, tu restes prêt à toutes les bassesses et les lâchetés. Comme clouer des cibles sur le dos des journalistes de Charlie qui n’auraient pas dû « balancer de l’huile sur le feu en republiant les caricatures ».
Comme jeter des anathèmes et enfoncer la jeune Mila, qui, parce qu’elle n’a fait qu’user de sa liberté d’expression « devrait se faire toute petite et se faire oublier » face à ses agresseurs.
Je te connais. Tu t’appelles Jérôme, Éric, Saïd ou Cyril, je ne me souviens plus. Tu es de la race de ceux qui non content de hurler avec les loups, excitent la meute et s’étonne ensuite que celle-ci réclame du sang. Comme au temps de l’école, tu ne te feras jamais incriminer, à aucun moment, ce ne sera de ta faute. Et s’il devait à nouveau arriver malheur à ceux de Charlie, à Zineb ou à Milla, ils ne pourraient s’en prendre qu’à eux même ; Pire, ils l’auraient un peu cherché, à force de s’obstiner à lutter inlassablement pour la liberté d’expression, alors qu’il est bien plus simple et plus rentable de faire du buzz facile en brossant dans le sens du poil un public jeune, influençable, et plutôt favorable à l’instauration d’un délit de blasphème.
Je te connais. Jérôme, Éric, Saïd ou Cyril, je ne suis plus tout à fait sûre de ton prénom, mais je me souviens bien de ton visage.
C’est celui de la lâcheté.
Nathalie Bianco
Page Facebook, 23 septembre 2022