Rechercher dans ce blog

05 mai 2020

Contre l’avis des médecins, mosquées ouvertes au Pakistan pendant le ramadan


Respect de la distance de sécurité 
lors de la prière du vendredi, le 24 avril à Karachi (Pakistan)


Les médecins du Pakistan craignent le pire : les autorités de ce pays musulman de 220 millions d’habitants ont autorisé l’ouverture des mosquées pour les prières collectives durant le ramadan. Le président Arif Alvi a annoncé cette décision, samedi 18 avril, à l’issue d’une rencontre avec les chefs religieux qui faisaient pression pour obtenir que les mosquées soient exemptées de toute mesure de confinement. Le premier ministre, Imran Khan, l’a justifiée en expliquant qu’on ne peut « empêcher par la force les gens d’aller à la mosquée ». « Je connais ma nation. Le ramadan est un mois de culte », a-t-il dit. Cette période est aussi pour les religieux un moment privilégié de collecte d’argent.
Les fidèles pourront prier chaque soir ensemble et célébrer la rupture du jeûne. Une vingtaine de règles de bonne conduite ont été édictées par les autorités, comme respecter 2 mètres de distance, apporter son tapis de prière, désinfecter le sol des mosquées, ne pas discuter, ne pas se serrer la main, faire ses ablutions à la maison. Les personnes âgées et les malades devront rester chez eux.
« Le gouvernement a pris une très mauvaise décision », s’est emporté Qaiser Sajjad, secrétaire général de l’Association médicale du Pakistan, au cours d’une conférence de presse à Karachi, pourfendant l’attitude des oulémas « qui jouent avec des vies humaines ». L’association a adressé une lettre au gouvernement pour lui demander de limiter l’accès des mosquées à cinq personnes maximum. Selon les praticiens, les hôpitaux désignés pour traiter l’épidémie sont déjà presque à saturation, alors que l’épidémie n’a pas atteint son pic. Officiellement, 11 700 cas et 250 morts étaient recensés au samedi 25 avril, principalement dans le Pendjab et dans le Sindh.

Système en déshérence

Le système de santé du pays, après des années de sous-investissement, est en déshérence. Les personnels des hôpitaux, qui ne disposent pas d’équipements de base, masques ou gants, ont déjà payé un lourd tribut : 253 ont été contaminés, dont 124 médecins. « Comment l’administration va-t-elle faire appliquer les règles de bonne conduite ? C’est impossible », a rappelé le docteur Saad Niazi.
Ces derniers jours, l’accès aux mosquées avait été restreint dans plusieurs régions, mais les fidèles ont continué de prier dans la rue, serrés les uns contre les autres. La police est intervenue, donnant lieu à des heurts entre fidèles et forces de l’ordre. Depuis le début de la crise sanitaire, le premier ministre tente de ménager une économie déjà à genou et défend le principe « d’un confinement intelligent », c’est-à-dire souple. Mais certaines provinces ont ordonné des mesures plus strictes, avec fermetures des écoles, des lieux de culte, des entreprises, des commerces. Après l’appel des médecins, la province du Sindh, dont la capitale est Karachi, dans le sud du pays, et dirigée par l’opposition, a interdit les prières collectives du ramadan.
Bilawal Bhutto Zardari, le fils de l’ancienne première ministre assassinée en 2007 et l’un des principaux opposants de Khan, estime que le pays, ignorant la science, « se dirige en somnambule vers un désastre ».

Sophie Landrin
Le Monde, 25 avril