Le film est l’histoire d’une simple
querelle de rue dans le Liban d’aujourd’hui entre Tony, Libanais et
nationaliste chrétien, et Yasser, un réfugié palestinien, qui devient une
affaire nationale
Vingt-sept ans après avoir pris fin, la guerre civile
est revenue hanter les Libanais le temps d’une soirée : le film de Ziad Doueiri
visionné mardi en avant-première à Beyrouth dans des salles combles, dépeint
avec un réalisme inédit les tabous du conflit.
Le succès du film à la Mostra de Venise (prix du meilleur acteur au Palestinien Kamel El Basha) a
été éclipsé par la brève arrestation le weekend dernier de Doueiri en
raison d’un long-métrage qu’il a filmé en 2012 en Israël, contrevenant à la
législation libanaise.
Le Franco-libanais, qui a quitté le Liban pour les
Etats-Unis en pleine guerre civile (1975-1990), s’attaque avec
« L’Insulte » pour la deuxième fois au thème de ce conflit, après
« West Beirut » (1998, prix François Chalais).
« La guerre du Liban m’a accompagné jusqu’à Los
Angeles », explique Doueiri dans un entretien à l’AFP la veille de
l’avant-première du film, produit par la Française Julie Gayet.
« La division de Beyrouth entre Est et Ouest est
restée vive dans ma mémoire malgré la fin de la guerre et la réunification de
la capitale », poursuit-il.
‘Chapitres
interdits’
« L’Insulte » est l’histoire d’une simple
querelle de rue dans le Liban d’aujourd’hui entre Tony, Libanais et
nationaliste chrétien, et Yasser, un réfugié palestinien.
La bagarre devient une affaire nationale, ravivant les
divisions qui ont déclenché le conflit.
Dans les années 1970, l’établissement de factions
armées palestiniennes au Liban était rapidement devenue la pomme de discorde
dans ce petit pays. La guerre oppose au départ milices chrétiennes et factions
palestiniennes, avant de dégénérer en conflit armé entre chrétiens d’une part
et musulmans et factions de gauche favorables à la cause palestinienne de
l’autre.
Le film a été salué par les critiques libanais car il
aborde de manière franche et sans clichés le thème de la réconciliation, dans
un pays où il n’y jamais eu après la guerre d’enquête officielle, de travail de
mémoire ou de commissions nationales de réconciliation.
« L’Insulte », ou « Procès N°23 »
dans la version originale en arabe, « ouvre des chapitres interdits dans
la mémoire collective des Libanais », affirme à l’AFP le critique de
cinéma Nadim Jarjoura.
Mais au-delà de la division, le film « explore la
nécessité de la réconciliation avec soi-même, sans laquelle il n’y a pas de
réconciliation avec autrui », poursuit-il.
« Il faut revenir au passé pour pouvoir en
sortir ».
Le script du film, qui commence dûment par une
insulte, est d’une audace rarement ressentie dans le cinéma libanais abordant
la guerre.
‘Toujours en guerre’
« Sharon aurait dû vous annihiler », lance
Tony, incarné par l’acteur libanais Adel Karam, à l’adresse du Palestinien
Yasser (Kamel el-Bacha).
Une référence au massacre dans les camps palestiniens
de Sabra et Chatila (1982), perpétré par des milices chrétiennes mais au vu et
au su de l’armée israélienne qui venait d’envahir Beyrouth-Ouest, sous la
direction d’Ariel Sharon, alors ministre de la Défense.
Tony, lui, est traité de « chien sioniste »
: un autre tabou de la guerre au Liban lorsque des factions chrétiennes ont
collaboré avec l’Etat juif, pour repousser la menace que représentaient selon
elles les Palestiniens pour le Liban.
« Aucune faction ne peut dire qu’elle seule a été
persécutée, qu’elle seule a été lésée ou qu’elle seule a versé du sang durant
la guerre, assure Ziad Doueiri. Je suis entré autant que j’ai pu dans
l’Histoire, mais sans exagérer. »
Dans « L’Insulte », les Libanais n’ont pas
encore tourné la page de la dissension, alors que le pays est toujours
fortement divisé, notamment sur le conflit dans la Syrie voisine ou les armes
du Hezbollah, groupe terroriste chiite.
A son avocat qui lui demande s’il prendrait les armes
aujourd’hui, Tony réplique « on est toujours en guerre ».
Mais si les séquelles sont encore vivantes, le chemin
vers le purgatoire est possible, semble suggérer le film, avec les personnages
se rapprochant au fil du scénario.
Un silence empreint d’émotion s’installe dans la salle
à la fin du film, avant que les langues ne se délient, notamment avec des
discussions entre générations.
« Tu ne peux plus penser comme ça papa, la guerre
est finie », lance un jeune homme à son père grisonnant.
AFP, 15 septembre 2017
Article trouvé sur le « Times of Israël »