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14 août 2014

Imaginez: l'"équilibre" actuel des médias durant la Seconde Guerre mondiale

Dresde après le bombardement du 13 février 1945

Si les mesures militaires prises par Israël sont considérées comme des « crimes de guerre » tels que définis par la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme, Navi Pillay, alors cela signifie que les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l'Union soviétique ont commis des crimes de guerre à une bien plus grande échelle, afin de vaincre l'Allemagne nazie.


Plusieurs facteurs ont sauvé les Alliés de l'accusation de « crimes de guerre » et empêché leur poursuite en justice, ou tout au moins la création de commissions d'enquête, après la mort de centaines de milliers de civils, dont des femmes et des enfants, lors du bombardement de cibles militaires et de villes d'Allemagne. Basés sur les estimations des historiens spécialistes de la Seconde Guerre mondiale, les bombardements sur les villes allemandes menés par les forces aériennes américaines et britanniques ont tué deux millions de civils, y compris, bien sûr, des femmes et des enfants.


Un de ces facteurs importants est que la Seconde Guerre mondiale ait été racontée par la presse écrite qui a vérifié les faits grâce à des rapports et des descriptions. Il n'y a pas eu de chaînes de télévision ou de journaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni qui ont publié des informations détaillées au cours des combats. Les photographies qui accompagnaient les informations montraient la destruction totale des villes et des villages causée par l'avancée des forces alliées de libération de l'Europe. Les blogs, Facebook et les réseaux sociaux auraient été à l'époque aussi délirants que les vaisseaux spatiaux ou les transplantations cardiaques. Les informations en direct des zones de combats ne pouvaient être vues que lors de journaux audiovisuels diffusés dans les salles de cinéma avant le début des films.


Les stations de radio, les médias écrits et audiovisuels aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne qui étaient actifs pendant la Seconde Guerre mondiale ne bénéficiaient pas de la puissance et de l'influence qu'ils ont aujourd'hui. Mais un facteur important qui, de nos jours, détermine et dicte les informations depuis les zones de tension et de conflit armé, et qui n'existaient pas dans la presse écrite pendant la Seconde Guerre mondiale est le principe d'équilibre, qui, ces dernières années, est devenu le droit sacré et inattaquable des médias aux États-Unis et en Europe occidentale.


Dans n'importe quel rapport, important ou marginal, sur les scandales politiques, les campagnes électorales, les manifestations ou les procès d'intérêt public, les points de vue et les explications de toutes les parties concernées sont diffusées. La préservation attentive et extrémiste du principe d'équilibre qui caractérise les médias américains se moque souvent de l'information et porte atteinte à la signification des événements en dépeignant les parties d'une manière totalement biaisée.


Quelle chance, quel miracle que la loi sacrée de l'équilibre n'existait pas lors de la Seconde Guerre mondiale. Imaginons qu'en 1943 une organisation juive en Amérique ait reçu un rapport qui affirme que les nazis dirigeaient un camp de concentration à un endroit appelé Oswiecim en Pologne pour y assassiner des milliers de Juifs. Car en réponse aux allégations de l'organisation juive et au nom de l'équilibre, à une réunion du New York Times ou pendant la conférence du matin pour les infos du soir de CBS, on aurait décidé d'envoyer un journaliste à Berlin pour vérifier la véracité de cette affirmation grave.

Dan Rader serait allé à Berlin interviewer Heinrich Himmler ou Goering et les aurait entendus nier vigoureusement que des Juifs étaient assassinés à Auschwitz. Les nazis auraient même organisé pour Dan Rader la visite d'un camp de concentration pour lui montrer le baraquement qu'ils avaient préparé avec des Juifs âgés assis en train de manger un copieux dîner. Bien sûr, l'entrevue avec Goering ou Himmler aurait été publiée avec une photo du baraquement pour équilibrer l'accusation de l'organisation juive sur l'extermination des Juifs. Selon les réponses actuellement acceptées, on peut supposer que la version Nazi aurait même été plus agréable à digérer.


Le très respecté journaliste retraité Charlie Rose se vantait de son scoop avec son interview exclusive de Khaled Mechaal qu'il avait obtenu la semaine dernière. Lorsque les soldats alliés ont combattu contre les nazis, il était inconcevable pour un journaliste occidental d’interviewer l'ennemi et de donner une tribune dans un journal américain ou britannique à un général nazi. C’est l'absence de cette loi sacrée de l'équilibre qui a permis la victoire sur les nazis. Harold Macmillan, qui a servi comme Premier ministre du Royaume-Uni de 1957 à 1963 a dit que si dans les années 1940, la BBC avait le pouvoir qu'elle a aujourd’hui, le monde parlerait allemand.

Shlomo Shamir,

I-24 news, le 7 août 2014
Shlomo Shamir fut pendant 40 ans correspondant de Haaretz à New York. Il est un expert de la communauté et des organisations juives américaines.