Photo tirée du film égyptien "Les femmes du bus 678"
Trois ans après le Printemps arabe,
l'Egypte s'est hissée au premier rang des mauvais élèves du monde arabe en
matière de droits des femmes, selon un sondage de la Fondation Thomson Reuters,
publié mardi 12 novembre. Le pays arrive en dernière position parmi les 22 pays
étudiés (21 pays de la Ligue
Arabe et laSyrie, qui en a été suspendue en 2011), précédé par l'Irak, l'Arabie,
la Syrie et le Yémen. Un classement établi à partir des évaluations réalisées
par 336 experts en droits des femmes au regard de la Convention des Nations
unies pour l'élimination de toutes formes de discrimination contre les femmes
(Cedaw, signé ou ratifié par 19 de ces pays).
A l'inverse, les Comores, où 20 % des portefeuilles
ministériels échoient à des femmes, arrivent en première position de ce
classement, devant le sultanat d'Oman, le Koweït, la Jordanie et le Qatar.
Pour aller plus loin : le sondage et le dossier (en anglais)
réalisé par la Fondation Thomson Reuters
LA PLAIE DU HARCÈLEMENT SEXUEL
Harcèlement sexuel, excision, augmentation du trafic
humain, lois discriminatoires et faible représentation en politique: l'Egypte
cumule les mauvais points dans toutes les catégories. L'insécurité accrue,
l'augmentation des violences et du sentiment islamiste depuis la chute de
l'ancien président Hosni Moubarak, le 11 février 2011, ont encore fragilisé la
place des femmes. Le soulèvement révolutionnaire n'a pas davantage bénéficié
aux femmes sur le plan politique : seules neuf d'entre elles, sur les 987
candidates aux élections parlementaires de 2012, ont été élues.
Le soulèvement égyptien a mis en lumière un phénomène
inquiétant dans le pays avec les agressions sexuelles subies par des femmes,
manifestantes et journalistes, sur la place Tahrir, au Caire, depuis deux ans.
Selon l'organisation Human Rights Watch, 91 femmes ont été violées lors du seul
mois de juin, pendant les manifestations contre le président Mohamed Morsi.
Cependant, le phénomène est bien plus répandu au sein de la société égyptienne.
Selon un rapport des Nations unies réalisé en avril,
99,3 % des femmes et jeunes filles égyptiennes ont été victimes de harcèlement
sexuel, un phénomène "endémique". "Cela ne devrait pas changer
car il est considéré comme socialement acceptable et n'est pas pris au sérieux,
ni par les autorités, ni par la société", a commenté une journaliste
égyptienne à la Fondation Thomson Reuters. A cela s'ajoute l'augmentation des
mariages forcés et du trafic humain dans le pays. En outre, l'excision demeure
largement répandue : 27,2 millions des femmes et jeunes filles (soit 91 %
d'entre elles) ont été excisées, selon l'Unicef.
Le harcèlement sexuel constitue également un problème
majeur au Yémen (18e dans le classement), où 98,9 % des
femmes et jeunes filles en ont été victimes dans la rue, selon un rapport du
département d'Etat américain de 2012. La révolution yéménite de 2011, qui a vu
un grand nombre de manifestantes, a permis d'imposer un quota de 30 % à la
participation des femmes à la conférence sur le dialogue national. Cependant,
la condition des femmes dans ce pays conservateur et extrêmement pauvre demeure
inquiétante, notamment au regard du phénomène des mariages d'enfants. Selon le
département d'Etat américain, un quart des filles de moins de 15 ans sont
mariées, aucun âge minimum n'étant fixé pour le mariage. En outre, Human Rights
Watch déplore le nombre élevé de cas de rapports sexuels forcés constatés dans
les hôpitaux.
LES FEMMES, DOUBLEMENT VICTIMES DES CONFLITS
Depuis l'invasion américaine de 2003 en Irak et
le renversement du président Saddam Hussein, les droits des femmes sont en
constante régression dans le pays. La spirale de violence qui a marqué la
dernière décennie a doublement affecté les femmes. Outre les risques liés à
l'insécurité croissante, leur condition a reculé dans de nombreux domaines.
Selon l'organisation Refugees International, les violences domestiques et la prostitution
ont augmenté dans le pays. "La violence physique et verbale en direction
des femmes est devenue monnaie courante et fait désormais partie de la culture sociale",
estime Shatha Al-Obosi, ancien député et militant des droits de l'homme.
Les centaines de milliers de femmes déplacées à
l'intérieur de l'Irak ou hors de ses frontières sont davantage vulnérables au
trafic humain et aux violences sexuelles, selon le Haut Comité des Nations
unies pour les réfugiés (HCR). Une situation dans laquelle se retrouvent
aujourd'hui une majorité de femmes et de jeunes filles en Syrie,
déplacées par la guerre civile qui fait rage depuis trois ans dans des camps
installés dans le pays ou au-delà de ses frontières. Les violences sexuelles,
le trafic humain, les mariages forcés et l'absence de prise en charge pendant
la maternité jalonnent le parcours de ces réfugiées, qui sont aujourd'hui plus
de 1,06 million, selon le HCR.
Mais les Syriennes sont aussi des cibles directes de
cette guerre. "Les femmes en Syrie sont des armes de guerre. Elles sont
sujettes à des enlèvements et à des viols par des partisans du régime et
d'autres groupes. Le régime utilise cela pour briser les manifestations
pacifiques", a commenté l'activiste Sabiha Khalil. Selon le
département d'Etat américain, plus de 4 000 cas de viols et de mutilations
sexuelles contre des jeunes filles et des femmes, dont 700 survenus en prison,
ont été signalés par le Réseau syrien des droits de l'homme. En outre, la prise
de contrôle de certains territoires, notamment dans le nord du pays, par des
groupes rebelles islamistes extrémistes s'accompagne de restrictions aux droits
des femmes.
En Libye (9e rang dans le
classement), l'insécurité et le règne des milices armées a également un impact
direct sur les droits des femmes, qui sont victimes d'enlèvements, d'extorsions
de rançons et d'arrestations arbitraires. La représentation politique des
femmes – 33 femmes ont été élues en 2012 sur les 200 membres de
l'Assemblée nationale – n'a pas eu pour conséquence d'inscrire les droits des
femmes dans la loi. Les violences domestiques restent notamment un problème
majeur dans le pays. "Les femmes se sentent en insécurité du fait du
manque de protection sociale contre les maris abusifs", avance une militante
libyenne. Près de 99 % des femmes qui ont porté plainte contre des cas d'abus
domestiques l'ont retirée, note un responsable judiciaire libyen.
DES AVANCÉES NOTABLES EN ARABIE SAOUDITE
Dans un pays où la condition des femmes est souvent
dénoncée, les experts ont noté des avancées : l'Arabie saoudite a mis en
place des réformes pour accroître les opportunités d'emploi et la
représentation publique des femmes. En janvier, 30 femmes ont été appointées au
Conseil de la Shoura (qui tient lieu de Parlement, sans pouvoirs législatif ou
budgétaire). Le droit de vote des femmes aux élections doit entrer en vigueur en 2015. En 2012, les femmes se sont vues
accorder le droit de travailler dans des catégories d'emploi spécifiques.
Vingtième au classement, le royaume saoudien demeure
le seul pays au monde où les femmes ne sont pas autorisées à conduire. Elles
doivent obtenir l'accord de leur tuteur masculin pour se marier, voyager,
étudier, ouvrir un compte en banque et parfois avoir accès au système de santé.
"Le système de tuteur masculin traite les femmes comme des mineures et
les met à la merci des machistes et des auteurs de sévices", commente
une journaliste saoudienne.
Le Monde, 12 novembre 2013