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22 août 2011

C'était au temps où la France armait Kadhafi ...

Mouamar el Kadhafi et Georges Pompidou


Je ne sais pas, à l'heure où je tape ces lignes, quel est ou quel sera le sort de Kadhafi : restera-t-il terré pendant des longs mois avant d'être débusqué "comme un rat" - expression qui ne lui a pas porté chance à propos du peuple en révolte ? Mourra-t-il les armes à la main ? Se suicidera-t-il comme Hitler dans son bunker ? Ou alors, plus rusé que fou, a-t-il déjà pris la poudre d'escampette pour se réfugier en Algérie, pays resté si amical à son égard pratiquement jusqu'au bout - j'y reviendrai peut-être dans un prochain article.

"Vae victis", malheur aux vaincus, il n'y a plus guère que son ami Chavez qui lui aura témoigné un soutien officiel jusqu'au bout ! Et nous, Français, avons-nous la conscience si tranquille ? Il est de bon ton, alors que la majorité de l'opinion publique déteste notre Président, de rappeler l'accueil que fit Sarkozy à Kadhafi, en décembre 2007 : premier faux-pas diplomatique, immortalisé par des photos qui circulent en boucle, et je ne peux pas dire que cela m'ait réjoui à l'époque - voir en libellé. Mais un minimum d'honnêteté intellectuelle devrait souligner, aussi, la part déterminante que prit la France du même Sarkozy à sauver in extremis les rebelles en mars dernier, en faisant passer puis mettre très vite en œuvre la résolution du Conseil de Sécurité autorisant la décisive intervention aérienne de l'OTAN.  

Un petit article ne suffirait pas à résumer la longue et tortueuse histoire des relations franco-libyennes, qui connut ses phases de grande tension avec l'attentat du DC-10 d'UTA ou le conflit tchadien, et ses phases de retrouvailles, intérêts pétroliers et commerciaux oblige ... Mais une étrange pudeur, une complicité du silence fait oublier dans nos grands médias les tout débuts de nos relations avec Kadhafi, à l'époque où il était un tout jeune et "bouillant colonel" comme le désignaient nos journalistes - expression creuse et non critique qui fut utilisée jusqu'à plus soif. Cette relation, au début secrète puis apparue au grand jour au début de 1970, Georges Pompidou étant Président de la République et Jacques Chaban-Delmas Premier Ministre, fut marquée dès le début par un contrat formidable : on vendit en grand nombre (110 appareils) des "Mirage" au nouveau régime, premier contrat d'armement d'importance avec un pays arabe, et ce trois ans à peine après qu'Israël ait fait la promotion publicitaire de cet avion pendant la Guerre des Six Jours, et alors même que l’État juif subissait un embargo sur les armes. D'emblée, le successeur de De Gaulle à l’Élysée, celui-là même qui se refusait à tout contact avec des dirigeants israéliens (Golda Méir, de passage à Paris pour une réunion de l'Internationale Socialiste n'eut même pas droit à la poignée de mains d'un Secrétaire d’État), recevait, tout sourire, celui qui allait régner en despote pendant 42 ans ; et se comporter en voyou intégral, moins sanguinaire que Saddam Hussein, certes, mais aussi provocateur et déstabilisant sur la scène internationale. Cet épisode, et la réception de Kadhafi en col roulé par un Pompidou content de lui (voir photo), je ne les ai pas oubliés même si à l'époque je n'avais même pas 20 ans. Vincent Nouzille, journaliste et écrivain, a écrit sur son blog un article qui raconte en détails cet épisode honteux de notre diplomatie, et je vous en donne le lien ici.

Chirac eut ensuite comme ami Saddam, épisode déjà évoqué sur mon blog à propos de sa "politique arabe"   (voir ici), puis Giscard hébergea Khomeiny : cela leur a été reproché, en son temps. Georges Pompidou mourut jeune et trop tôt pour voir le résultat désastreux de cette diplomatie. Mais il bénéficie, dans la mémoire collective française, d'une nostalgie et d'une admiration qui me hérissent toujours, et encore plus en cette année où l'on célèbre son centenaire : il était donc encore plus nécessaire de rappeler cet épisode honteux.

Jean Corcos