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01 avril 2008

La Syrie, fil d’Ariane du Proche Orient


Difficile de ne pas (encore) parler de la Syrie, alors qu’elle fait de nouveau la une des journaux, apparaissant - peut-être à tort - comme l’acteur principal dans au moins quatre dossiers : le sommet de la Ligue arabe, l’assassinat de Rafik Hariri, les discussions inter palestiniennes, et ce qu’il conviendrait d’appeler une « séance d’échauffements » du Premier ministre Ehud Olmert. Si en politique il ne faut jamais prendre les déclarations au pied de la lettre, et encore moins tirer des conclusions de ce qui n’est parfois qu’un jeu avec les apparences, il est en revanche toujours intéressant de revenir sur le fil des événements. Car comment ne pas être frappés par le rythme très soutenu des derniers événements rassemblés en des coïncidences qui, si elles ne sont pas orchestrées par la providence, ne doivent sans doute rien au hasard ? Il n’y a pas de hasard au Moyen-Orient.

En Août 2004, le Premier ministre du Liban Rafik Hariri, un homme d’affaires sunnite bénéficiant également de la nationalité saoudienne et ami de longue date du président français Jacques Chirac, fut convoqué à Damas par le président syrien Bashar El Assad. La discussion devait porter sur la prolongation du mandat du président libanais pro syrien Émile Lahoud, à laquelle Hariri s’opposait. Suite à sa conversation avec Assad, et parce qu’Hariri était homme trop avisé pour s’opposer frontalement au grand frère syrien, celui-ci finit par céder avant de démissionner de son poste 6 jours après. Au mois de septembre, une résolution initiée par la France et les États-Unis, soutenue par l’Egypte et l’Arabie Saoudite, passa au conseil de sécurité de l’ONU, demandant d’une manière unanime le retrait des troupes syriennes du Liban. Les relations entre la Syrie et les États-Unis s’étaient détériorées depuis l’attentat du 11 septembre, à cause de l’implication de Damas dans les activités terroristes du Hamas et du Hezbollah et à cause encore de sa relation privilégiée avec l’Iran ; en revanche, la détérioration de sa relation avec la France était un fait nouveau. La pomme de discorde était particulièrement la politique syrienne au Liban.
En février 2005, Hariri fut assassiné d’une manière brutale dans un attentat à la bombe tandis que sa voiture passait sur un explosif d’une tonne dissimulé sous la chaussée. 22 autres personnes furent également tuées. Cet assassinat secoua le Liban où de grandes manifestations anti-syriennes furent organisées. Pressé par l’opinion publique, par une enquête ouverte à l’ONU sur l’assassinat d’Hariri, par la pression de la France, Assad retira finalement ses troupes militaires du Liban. Laissant le Hezbollah les mains libres au Sud Liban et dans le parlement. En octobre 2005, suite à une vague d’éliminations, le vice-président syrien en charge du Liban, Abd Al-Halim Khaddam, qui était à la tête des services de renseignements syriens opérant dans le pays du Cèdre, s’enfuit pour la France.
La situation n’a fait qu’empirer depuis : après la seconde guerre du Liban, de grandes manifestations ont été organisées par l’opposition chiite contre le gouvernement de Fouad Siniora. Le général Michel Aoun a quitté son exil de Paris pour tenter de prendre le contrôle du mouvement en faisant une alliance avec le Hezbollah - jusque maintenant, sans réussir. En novembre dernier, le mandat du président Emile Lahoud est arrivé à son terme, sans que le parlement libanais parvienne à élire un autre président qui lui succède. Le Hezbollah, commandité par la Syrie, est accusé de saboter toutes les tentatives pour élire un nouveau président libanais. La semaine dernière, une séance du parlement a de nouveau été annulée, provoquant la colère des Libanais mais aussi de grands pays arabes qui ont annoncé leur boycott du sommet de la Ligue arabe qui s’est déroulé à Damas ce week-end : mardi 25 mars, le Liban a annoncé qu’il ne participerait pas au sommet, un jour après que le roi d’Arabie Saoudite ait prévenu qu’il enverrait seulement un ambassadeur. Mercredi, le président égyptien Hosni Moubarak et le roi de Jordanie ont déclaré qu’ils enverraient seulement des représentants. Enfin, le président du Yémen n’était pas attendu à Damas suite à l’échec de conciliation entre le Hamas et l’Autorité Palestinienne.

Pour conclure sur ce point : Assad vient d’essuyer un sérieux revers par l’absence des pays arabes principaux qui se sont contentés d’envoyer de simples représentants. D’autre part, l’enquête sur Hariri était souvent présentée comme un moyen de pression pour amener Damas à être plus coopérant. Or, la commission de l’ONU chargée d’enquêter sur l’assassinat d’Hariri a précisément choisi vendredi 28 mars, la veille du sommet de la Ligue arabe, pour s’exprimer pour la première fois depuis la nomination de son nouveau président. Daniel Bellemare, au contraire de son prédécesseur Melhis franchement hostile à la Syrie, a annoncé l’existence d’un réseau criminel responsable du meurtre d’Hariri. Bellemare s’est bien gardé de livrer des noms, se contentant de déclarer que la commission allait maintenant s’attacher à rassembler de nouvelles preuves portant sur l’étendue de ce réseau, l’identité de ses membres, leur rôle, et leurs liens avec d’autres personnes extérieures au réseau. Le conseil de sécurité de l’ONU s’est également félicité des progrès enregistrés dans la constitution du tribunal international qui sera chargé de juger les inculpés. Quarante jours après l’élimination du numéro 2 du Hezbollah en plein Damas, alors que Hassan Nasrallah ne parle plus que depuis son bunker libanais, le moment où Bellemare choisit de s’exprimer pour la première fois donne matière à méditer.

La Syrie est également impliquée - au moins d’une manière indirecte - dans les pourparlers inter palestiniens. Depuis la prise de pouvoir du Hamas par un coup d’état dans la bande de Gaza, et plus encore depuis sa main mise sur la frontière de Rafah, les relations entre le Hamas et l’Autorité palestinienne se sont sérieusement dégradées. D’une part, les violences que le Hamas a organisées à Rafah étaient dirigées contre l’Égypte et Moubarak, lesquels entretiennent de bonnes relations avec l’Autorité palestinienne. L’Égypte a accusé la Syrie d’avoir utilisé le Hamas comme instrument de son agression, ce qui est tout à fait probable quand on sait que le leader du Hamas Khaled Meschaal a trouvé refuge à Damas après avoir été expulsé de Jordanie. D’autre part, jusque maintenant, toutes les tentatives de médiation entre le Hamas et l’Autorité palestinienne ont échoué : qu’il s’agisse de l’Égypte, de l’Arabie Saoudite, ou dernièrement du Yémen, le Hamas n’a cessé de présenter des conditions inacceptables par l’Autorité palestinienne. Entre autres, le mouvement demande un contrôle partagé de la frontière, ce qui reviendrait à légitimer son coup d’état. S’il est vrai que la Syrie manipule le Hamas contre l’Égypte et l’Autorité palestinienne, faisant échouer le dossier prioritaire de l’administration Bush qui veut arriver à un accord israélo-palestinien d’ici la fin de l’année, la date choisie par Bellemare pour sortir de son silence sans le rompre non plus tout à fait est parfaitement rationnelle. Mais pourquoi Israël choisit-il précisément ce moment pour reparler de négociations ?
En effet, le Premier ministre Ehud Olmert a évoqué cette semaine des pourparlers avec la Syrie. Certes, il a parlé de négociations secrètes, auxquelles la Syrie est opposée. Certes encore, la rencontre secrète prévue entre le chef du cabinet du Premier ministre, Turbowicz, et son homologue syrien, devait avoir lieu à Istanbul à quelques jours de l’opération militaire « hiver chaud » (dans la bande de Gaza), et il était tout à fait prévisible que la Syrie annulerait la rencontre au vu de la situation. Pourtant, le ministre des Infrastructures Fouad Eliezer a déclaré vendredi 28 mars à la radio Kol Israël qu’Israël travaillait à des négociations et était prêt à en payer le prix, celui fixé successivement par Itzhak Rabin, Benyamin Netanyahu, et Ehoud Barak du temps où ils étaient Premier ministre : la restitution du plateau du Golan. Après 10 ans de négociations, c’est Hafez Assad, le père de Bashar, qui avait brusquement décliné l’offre.

Hamas, Hezbollah, Liban, ONU, Israël. Pour essayer de saisir la complexité des enjeux que représente la Syrie, il faut ajouter un dernier acteur, sans aucun doute celui qui tient le premier rôle : l’Iran.

L’Iran vient de faire un pas très agressif qui menace non seulement l’Égypte mais aussi l’Arabie Saoudite et le Yémen en signant un accord militaire avec le Soudan. Sans doute est-ce la raison pour laquelle l’Égypte - qui se tient actuellement au centre d’attaques conjuguées - s’est rapprochée de la Russie la semaine dernière. Moubarak a fait le déplacement jusque Moscou, signant un contrat de partenariat pour le développement du nucléaire civil égyptien. Il aurait pu signer ce contrat avec les Français. Il a pourtant choisi les Russes. Si on admet que les contrats d’affaires ne sont pas seulement déterminés par des calculs économiques mais aussi par des considérations politiques, le ministère des Affaires étrangères israéliens permet de décrypter bon nombres d’énigmes.
En effet, mardi 25 mars, des officiels du ministère ont confié que la visite du ministre des Affaires étrangères russe il y a deux semaines était motivée par la volonté de la Russie de prendre davantage pied au Moyen-Orient. Pour contrer l’influence grandissante de l’Iran. Si Téhéran est un allié de la Russie, celle-ci entend garder l’initiative et ne pas perdre le contrôle de la relation. Lavrov s’est également rendu en Syrie, où il a rencontré Khaled Meschaal. Meschaal est toujours accueilli à bras ouverts en Iran et au Soudan. Tout semble donc indiquer que l’Iran a mis la main non seulement sur le Hezbollah - ce qui est disons le naturel - mais également sur le Hamas et la Syrie au détriment de la Russie. L’ambassadeur de la Russie aux Nations Unies a déclaré avoir pris note des progrès réalisés dans la constitution du tribunal international qui jugera les responsables du meurtre d’Hariri. Dit autrement : au vu des circonstances, la Russie ne se battra pas pour la Syrie. Pour l’Iran, il vise maintenant le Liban, l’Irak, et l’Égypte. Cet accord avec le Soudan est donc un très mauvais signe. C’est pourquoi en boycottant le sommet de la Ligue arabe, le Liban, l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, l’Irak et le Yémen ont en fait boycotté ... rien moins que l’Iran ! C’est sur lui, et ses amis du Hezbollah - secondairement sur la Syrie, qui reste finalement un petit pays à côté du géant perse - que la pression est en train de monter. La présence grandissante de l’Iran en Syrie et au Liban explique également la politique franchement hostile de la France : c’est elle qui s’est battue avec détermination à l’ONU pour obtenir le vote d’un troisième cycle de sanctions contre l’Iran, de telle sorte que les États-Unis - contrairement à ce qui s’est passé en Irak - ne sont plus isolés sur ce dossier.

La Syrie est en train de payer non seulement sa politique libanaise, mais encore son alignement sur l’Iran. Olmert, en envoyant ses messages, manifeste qu’Israël entend rester le maître de son destin et de ses priorités : c’est lui qui décide du moment, de la manière, de l’étendue qu’il entend donner aux pourparlers, et des conditions qu’il décide de poser. Parce qu’il est vital pour l’avenir d’Israël de ne jamais négocier en position de faiblesse.

Isabelle-Yaël Rose
Jérusalem, le 29 mars 2008