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11 novembre 2015

"Rien à voir avec l'Islam", par Pierre Jourde



Pierre Jourde 

Après le « ni antisémistisme, ni islamophobie », deuxième motif d’énervement après-attentat, toujours sur le mode des expressions obligées qui permettent utilement de ne pas regarder de trop près des réalités désagréables, le fameux : « ces terroristes n’ont rien à voir avec l’Islam ». Rien à voir, absolument rien. D’accord. L’idée, en gros, c’est qu’il y a d’un côté une poignée de dévoyés fanatiques qui ne connaissent rien à rien à la religion musulmane, de l’autre la grande masse des musulmans, pacifiques, démocratiques, favorables à la liberté d’expression, et tout ça.
En même temps, dit comme ça, vous avouerez que ça fait bizarre.
Je suis le premier à défendre l’idée, difficilement contestable d’ailleurs, que la grande majorité des musulmans français aspirent à vivre en paix et se reconnaissent dans le système démocratique.
Mais « rien à voir avec l’Islam », c’est un peu gros, et quand on y regarde de près, ça pose tout de même quelques questions.
D’abord cela concerne des gens qui ont fait leur profession de foi musulmane, ont tué au nom d’Allah. Qui peut se permettre de les exclure d’office de la religion, sans autre forme de procès ?  
Et puis, si on va par là, ça va nous faire pas mal de monde dont on peut se demander où on les met : à voir avec l’Islam, ou rien à voir ?
Khaled Kelkal : rien à voir avec L’Islam ?
Les avions explosés en vol ou pris en otage : rien à voir avec L’Islam ?
Les talibans : rien à voir avec L’Islam ?
Le GIA : rien à voir avec L’Islam ?
Daech : rien à voir avec L’Islam ?
Les attentats de Bombay : rien à voir avec L’Islam ?
Les attentats de la rue Copernic : rien à voir avec L’Islam ?
Les attentats du 11 septembre : rien à voir avec L’Islam ?
Mohammed Merah : rien à voir avec L’Islam ?
Al Qaida : rien à voir avec L’Islam ?
L’assassinat de Sadate : rien à voir avec L’Islam ?
Les attentats de Nairobi : rien à voir avec L’Islam ?
Les attentats de Madrid : rien à voir avec L’Islam ?
L’assassinat de Theo van Gogh : rien à voir avec L’Islam ?
Les meurtres à la hache de Londres : rien à voir avec L’Islam ?
Boko Haram, rien à voir avec L’Islam ?
Les islamistes du Mali, rien à voir avec L’Islam ?
Les persécutions sanglantes des minorités chrétiennes au Soudan, au Pakistan, en Irak, en Egypte, rien à voir avec L’Islam ?
Les agresseurs de Malala, rien à voir avec L’Islam ?
J’arrête là, la liste est sans fin, je passe les vétilles des attentats au couteau, à la voiture, au vitriol, il nous faudrait quelques dizaines de pages.
Nous ne parlons pas là que des individus ou des organisations terroristes qui se réclament de l’Islam. Cela nous fait déjà pas mal de monde à exclure de l’Islam.
Le problème c’est aussi que pour les centaines de milliers, voire les millions de personnes que cela représente, ce sont les autres qui n’ont rien à voir avec l’Islam ! Alors qui devons-nous croire, nous autres pauvres infidèles qui n’y connaissons rien ? Qui n’a rien à voir avec l’Islam ? De confiance, nous croyons les gentils, ceux qui ne tuent pas les petites filles juives en les tenant par les cheveux.
Mais continuons le raisonnement. Enlevons les mauvais musulmans, qui n’ont rien à voir avec l’Islam, jusqu’à ce qu’il ne nous reste que les bons.
Or, ce que les frères Kouachi ont fait artisanalement, et hors de la loi française, se pratique tout à fait tranquillement et dans un cadre légal dans quelques pays musulmans, dont certains sont nos amis, comme la sympathique Arabie Saoudite (qui par ailleurs a généreusement financé maints mouvements terroristes) : amputations et flagellations judiciaires, lapidation de femmes adultères, exécutions d’homosexuels ou de blasphémateurs, et autres joyeusetés. Idem en Iran, au Pakistan, et par-ci par là. Il paraît que c’est la charia qui veut ça.
Ah bon ? Mais alors, euh, la charia, ça n’a rien à voir avec l’Islam ?
Ah non, pardon, c’est une mauvaise interprétation de la charia, et ça n’a rien à voir avec le vrai Islam, le bon.  
Nous voilà rassurés.  
Les Saoudiens, les Iraniens, tout ça, n’ont rien à voir l’Islam.
Ça commence à faire du monde.
Étonnant le nombre de musulmans qui n’ont rien à voir avec l’Islam, tout de même.
C’est eux qui vont être surpris d’apprendre qu’ils n’ont rien à voir l’Islam.
Ne le dites pas à l’ayatollah Khamenei. Il a toujours cru qu’il avait quelque chose à voir avec l’Islam. Le choc, à son âge….
         Bon, enfin tout ça c’est un détournement étatique de l’Islam. Ce sont les gens qui comptent. Le musulman de base.
         Certes.
         Mais alors les braves gens, pas terroristes deux ronds, qui se contentent benoîtement d’applaudir les attentats du 11 septembre ? Qui participent à des émeutes sans fin après la publication des caricatures danoises ? Qui remettent ça après la dernière couverture de Charlie Hebdo, pourtant bien gentille et consensuelle ? Avec des morts à chaque fois ? Tous ceux qui viennent de faire pression, en France, pour empêcher des expositions d’artistes musulmans, agréés par l’Institut des cultures d’Islam, parce que ça choque leurs croyances ? Qui marient de force leur fille à un quinquagénaire au bled ? Qui exigent des médecins femmes pour leur femme à l’Hôpital ? Qui persécutent des écrivains ? Tous les braves musulmans qui maintiennent leur épouse dans une condition ancillaire et de soumission absolue ? Tous ceux en France qui considèrent Merah, assassin d’enfants, comme un héros de l’Islam ? Les jeunes qui refusent la minute de silence pour les victimes des Kouachi et de Coulibaly ? Ces gens-là pensent que les terroristes ont beaucoup à voir avec l’Islam. Qu’ils sont dans la vérité de l’Islam. Et dans ce cas, devons-nous en conclure que tous ces gens n’ont rien à voir, eux non plus, avec l’Islam ?
         Mais là, ça va devenir compliqué à déterminer.
Car nous nous trouvons devant deux options :
Option 1 : un type qui admire Merah a la même conception de l’Islam que lui. Donc rien à voir avec l’Islam. Mais comment allons-nous savoir ce que pensent réellement les musulmans, pour faire le départ entre bons et mauvais musulmans ? Nous nous trouvons face à des milliards de musulmans, dont on ne sait pas très bien ce qu’ils pensent de tout ça. Quelles conclusions en tirer quant à la faculté de cette religion à s’accommoder d’institutions démocratiques ?
Options 2 : les admirateurs de Merah et de Coulibaly ne sont pas vraiment de mauvais musulmans. Un peu d’éducation, et on va les récupérer. Bien. Mais si, en pensant ce qu’ils pensent, ils ont à voir avec l’Islam, il y a de quoi s’inquiéter sérieusement.
Dans les deux options, nous avons un problème, non ?
Et on voit bien où il se situe : c’est que le « rien à voir avec l’Islam » évite toute tentative d’explication et d’interprétation. Un peu comme cette idée, que j’ai souvent entendu émettre dans ma famille, lorsque j’étais enfant, selon laquelle « Hitler était un fou ». Et voilà le travail. Le nazisme n’était plus un phénomène historique, qui avait tout de même quelque chose à voir avec le peuple allemand. C’était la faute à Hitler, qui était un fou. Passez muscade.
L’explication par la misère, le ressentiment, l’exclusion ? ça peut marcher, en partie (pareil pour les Allemands des années trente, et ça ne justifie rien). Mais la misère des Saoudiens, hem. Sans compter que beaucoup de terroristes viennent de bonnes familles, sans histoires, ni misérables ni ghettoïsées. Parfois pas même de familles musulmanes. Leur conversion les a radicalisés, pas leur origine.
Autrement dit, j’admets tout à fait qu’un musulman puisse dire dans un premier temps, par crainte des amalgames trop rapides, et parce qu’il est, lui, foncièrement pacifique : « ça n’a rien à voir avec l’Islam ». Mais si on s’en tient là, on manquera encore une fois l’occasion d’essayer de comprendre. On ne peut pas encore une fois tout faire porter sur la société française, par un réflexe misérabiliste qui devient trop commode, pour dédouaner l’Islam de toute responsabilité dans les innombrables violences, exactions, pressions, entraves à la liberté, à l’égalité, à l’éducation commises en son nom à travers le monde, hors de la loi ou au nom de la loi.
L’Islam reste lié à des représentations ou des systèmes sociaux dans lesquels la religion est censée régir tous les aspects de la vie, et où l’individu ne peut prétendre s’affranchir de la pratique collective. Et certaines de ces pratiques sont franchement difficilement compatibles avec une démocratie laïque. Les plus hautes autorités spirituelles de l’Islam condamnent le terrorisme. C’est déjà beaucoup. Il faudrait aussi qu’il y ait, du côté de l’Islam, une vraie réflexion globale sur le rapport de la religion et de la liberté individuelle, sans parler de l’égalité hommes-femmes. Mais il doit être islamophobe de penser ça.       

Pierre Jourde,

Blog "Confiture de cultures", 29 janvier 2015    

10 novembre 2015

BHL et les antisémites



Introduction :
Vous avez pu entendre le 1er novembre dernier Bernard Schalscha, éditorialiste au journal en ligne "La Règle du jeu". Ma première question concernait Bernard-Henri Lévy.  J'avais dit : "je suis frappé par à la fois le pouvoir qu'on lui accorde, comme s'il était lui tout seul responsable du renversement de Kadhafi ou de la guerre civile en Syrie, et par la violence des attaques qu'il subit. Ainsi, sur FaceBook il y a de nombreuses pages haineuses contre lui, par exemple celle appelée "Pour que BHL ferme sa gueule à tout jamais" qui a plus de 10.000 "like". Je lis souvent des menaces de mort le concernant. Alors pourquoi à votre avis cette détestation ?" Mon invité avait rappelé que cette hostilité était ancienne, qu'elle était liée à une haine antisémite, mais qu'il était détesté, aussi, pour ses prises de position contre les dictatures.
Notre émission a été enregistrée le 29 octobre, nous n'étions pas au courant de la manifestation effrayante d'une quinzaine d'extrémistes de droite, qui allait le viser personnellement deux jours après, boulevard Saint Germain à Paris. Cette manifestation a été filmée, on peut la voir sur ce lien .
Bernard Schalscha, très inquiet bien sûr de l'antisémitisme ouvert qui s'est affiché lors de cette manifestation, a écrit un article là-dessus dans la "Règle du Jeu". Je le reprends ici avec plaisir.
J.C

L’inquiétant affichage antisémite contre BHL

Un pas vient d’être franchi samedi 31 octobre avec le rassemblement organisé par un groupuscule d’ultra droite catho-intégriste se prenant pour le «renouveau» de notre pays.
La haine antisémite dont Bernard-Henri Lévy fait l’objet n’est pas nouvelle. Elle se déchaîne surtout ces temps-ci sur le Net, où l’on trouve même des groupes Facebook entièrement dédiés aux vomissures que déversent de dangereux minables aux patronymes d’origines les plus diverses – sans que, soit dit en passant, ni les autorités judiciaires de la République ni les responsables du réseau social ne trouvent rien à y redire. Mais un pas vient d’être franchi samedi 31 octobre avec le rassemblement organisé par un groupuscule d’ultra droite catho-intégriste se prenant pour le «renouveau» de notre pays, dont ils incarnent bien plutôt le passé pétainiste le plus écœurant. Une quinzaine de petits fachos ne font pas le printemps (français), certes, mais il est révélateur que ces arriérés se soient lancés dans une initiative destinée à hurler dans la rue, en l’occurrence le boulevard Saint-Germain, ce que les autres se contentent d’écrire depuis leur ordinateur à l’abri de leur chambrette.
Faut-il accorder de l’importance à l’initiative d’un quarteron de débris nostalgiques des ligues factieuses d’avant-guerre cherchant à se faire une place sur le marché de l’antisémitisme ? Oui, car leur pauvre petite mobilisation est malgré tout un symptôme grave du climat sinistre qui tend à se développer en France. Ainsi, le 26 janvier 2014, quelques dizaines de fascistes avaient scandé «Juif, barre-toi, la France n’est pas à toi». C’était une première depuis quelque soixante-dix ans dans une rue parisienne, mais les ordures qui braillaient ça étaient dissimulés dans l’anonymat de la manifestation dite «Jour de colère». Chez leurs frères ennemis – ou peut-être pas si ennemis que ça finalement – islamistes et nationalistes arabes, les invectives contre les Juifs ont aussi fusé à diverses reprises ces dernières années. Mais là encore ceux qui les ont proférées étaient noyés au milieu de leurs petits camarades de cortège. Ce qui différencie la dernière démonstration antisémite ciblant BHL, c’est qu’elle est ouvertement revendiquée par un groupe qui affiche clairement son nom et dont les membres, leur chef en tête, savent qu’ils seront aisément identifiés puisque ils assument d’être sur la vidéo tournée à l’occasion et mise en ligne. Ces gens tentent de franchir ostensiblement une ligne rouge.
Il fut un temps où les petits fachos de ce genre recevaient la correction méritée lorsqu’ils cherchaient à faire suinter publiquement leur pus antisémite. Ce temps est révolu, et c’est une bonne chose. Car la République s’est dotée de lois réprimant le délit de provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». On ne peut dès lors douter que la justice fera son travail en déclenchant les poursuites qui devront aboutir à des inculpations puis à des jugements et, bien sûr, des condamnations.
Les pauvres types qui se sont rassemblés samedi dernier boulevard Saint-Germain se sont cependant bien gardés d’utiliser le mot «juif». Courageux mais pas téméraires, et peut-être que papa et maman ne payeraient pas l’amende si elle était trop lourde. Mais nul n’est dupe, c’est-à-dire qu’aucun magistrat ne peut être dupe des formulations employées, comme par exemple «milliardaire talmudiste». Une rapide recherche sur le Net démontre que «talmudiste» est devenu le terme codé de l’extrême droite pour tenter de contourner les procès pour antisémitisme. Les juges sauront aussi parfaitement comprendre ce que signifie demander que l’on retire à Bernard-Henri Lévy la nationalité française. En cas de besoin ils pourront ouvrir avec profit leurs livres d’histoire au chapitre Vichy.
Il est heureux que plusieurs associations (UEJF, Egam, SOS Racisme) aient élevé de fermes protestations. Mais c’est loin de suffire. On attend maintenant les réactions des politiques, des intellectuels, des autorités. Il ne s’agit pas de défendre la personne de BHL. Il s’agit de défendre ce qui a été visé en lui : le Juif. S’attaquer à BHL parce qu’il est juif, c’est attaquer tous les Juifs. C’est s’attaquer à la démocratie française. Personne ne peut laisser passer ça.

Bernard Schalscha
La Règle du jeu, 5 novembre 2015

09 novembre 2015

Pas d'émission le 15 novembre




Dimanche prochain, un "radiothon" bousculera comme chaque année les programmes des stations de la fréquence juive de Paris : il sera au profit de "L'Appel National pour la Tsedaka".

Rendez-vous donc le 29 novembre, et en attendant ... donnez !


J.C

01 novembre 2015

Une petite pause ...




Ouf ! 

Même si j'ai réduit la "voilure" depuis mon retour de vacances, à la fin juillet, ce sont trois mois plein de publications que je vous ai proposés. Et je m'accorde donc un petit répit d'une semaine, même si l'actualité s'est emballée en Israël avec une nouvelle vague d'attentats, subis en gros depuis les fêtes juives d'automne.

Mais mes lecteurs fidèles le savent : ce blog, pas plus que l'émission, ne sont prisonniers de l'actualité brûlante. Au contraire, en laissant passer un peu de temps, on prend de la distance, le rationnel l'emporte sur l'affectif - et on peut revenir ensuite sur les évènements avec plus de profondeur. Ainsi, je me suis limité à un petit nombre d'articles pour traiter de la nouvelle vague d'attentats en Israël, d'abord le 8 octobre pour me demander si on voyait débuter une troisième Intifada, puis avec quelques autres publications : vous pourrez les retrouver en cliquant sur le libellé "Guerre des couteaux" en fin d'article.

Ma "feuille de route", c'était ces dernières semaines le Daech et la guerre qu'il nous impose, partout dans le monde ;  je l'ai donc suivie comme prévu jusqu'à fin octobre. Et dans les prochaines semaines, on pourra revenir parler plus largement du conflit israélo-palestinien, entré hélas dans une nouveau cycle de violence.

Rendez-vous donc lundi 9 novembre !

J.C