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25 février 2019

"Marock", film choc


Introduction

La réalisatrice Laïla Marrakchi, née en 1975, a réalisé un premier long métrage il y a 13 ans qui a été un véritable électrochoc pour le Maroc : son titre, étrangement orthographié, synthétise à la fois le pays et la jeunesse dorée de Casablanca, « rock ». Toute la jeunesse, d’ailleurs, s’y était reconnue au-delà des plus riches évoqués dans ce film, qui a eu un très grand succès. Bien sûr aussi, l’histoire d’amour entre une jeune musulmane et un jeune garçon juif avait un parfum de scandale, dans un pays devant compter avec les islamistes ; ces « Roméo et Juliette » en terre d’islam n’étaient d’ailleurs pas sans rappeler ceux du film tunisien « Un été à La Goulette » évoqué sur le blog .

Pour resituer le film dans son contexte, je vous propose cet article de Florence Beaugé écrit à sa sortie. On trouvera
sur ce lien 
Le film complet, en arabe avec sous-titres en anglais - la vidéo sous-titrée en français n'est hélas plus accessible sur la Toile. 

J.C

Casablanca saisie par la fièvre « Marock »

Le premier long métrage de la réalisatrice marocaine Laïla Marrakchi, 30 ans, n'a pas fini de faire fantasmer les adolescent(e)s.
Comme l'héroïne du film, Rita, elles portent un jean, un tee-shirt dos nu et des cheveux bouclés jusqu'aux épaules. Et peu importe que l'une ou l'autre mettent en plus le hidjab, le foulard islamique. Modernes ou traditionnelles, francophones ou arabophones, avec ou sans argent, elles rêvent toutes de liberté, de belles voitures, de villas avec piscine, et d'un grand amour avec Casablanca pour décor. Marock, premier long métrage de la réalisatrice marocaine Laïla Marrakchi, 30 ans, n'a pas fini de faire fantasmer les adolescent(e)s.
Sorti au Maroc le 10 mai, le film pulvérise tous les records. Au Megarama de Casablanca, les deux salles ne désemplissent pas et on compte 14 500 entrées le week-end. Le public, jeune, est majoritairement féminin. Il vibre, rit et applaudit tout au long du film. A la sortie, un seul mot : "Génial !"
Sans la polémique qui a entouré sa distribution au Maroc, le film aurait-il connu pareil succès ? Pas sûr. Il porte sur la jeunesse dorée de Casablanca, autrement dit sur une fraction infinitésimale de la population marocaine. Voitures de sport - que l'on conduit sans permis -, cabanons de plage, alcool, joints, drague, jurons, révolte contre la société, rejet de la religion... Que se greffe là-dessus une romance entre deux adolescents de confessions différentes (elle musulmane, lui juif) est assez accessoire. "Ce film, c'est nous ! Il dit ce que nous vivons", affirment en choeur la quasi-totalité des jeunes.
Pourtant leur vie n'est pas celle de la belle Rita (Morjana Alaoui) et de son petit ami, Youri (Matthieu Boujenah). Rarissimes sont ceux qui ont la chance d'être inscrits au lycée Lyautey (le plus huppé des établissements de Casablanca), de parler français couramment et d'avoir des parents suffisamment fortunés pour les envoyer faire leurs études supérieures en France. Quelle importance ? Marock est vu comme un idéal à atteindre. Et tant pis si son univers est avant tout matérialiste.
"C'est vrai que Marock a un côté frime insupportable, mais il est saisissant de réalisme. Quand je l'ai vu, il m'a mis presque mal à l'aise, tellement il me rappelait mes frustrations d'autrefois, tout ce qui me faisait saliver lorsque j'étais adolescent !", raconte en riant Ahmed Benchemsi, le jeune directeur de Tel Quel. Début mai, cet hebdomadaire, le plus lu des magazines francophones, a consacré sa couverture à Marock, sous le titre "Le film de tous les tabous". La photo retenue à la "une" était en elle-même une provocation. On y voyait Rita, en short, se moquant de son frère agenouillé en train de faire la prière. Il n'en fallait pas davantage pour relancer la polémique... et aussi "booster" le film, à quelques jours de sa sortie en salles.
Après que des artistes marocains eurent accusé Laïla Marrakchi de "sionisme" lors du festival national de Tanger, en décembre 2005, les islamistes sont montés au créneau. Faute d'avoir réussi à faire interdire Marock, ils ont appelé à son boycottage. Le 5 mai, le Mouvement unification et réforme (MUR), proche du parti Justice et développement (PJD), a estimé que le film ternissait "l'image du Maroc, des Marocains, de leur religion et de leur personnalité" et qu'il comportait "de nombreuses atteintes portées sciemment aux rites de l'islam, comme la prière et le jeûne".
La très officielle commission de censure n'a pas accepté de céder à ces injonctions. Elle a seulement interdit le film aux moins de 12 ans. Le Centre cinématographique marocain a, lui aussi, fait la sourde oreille. "Je n'ai pas à juger de la qualité de ce film. Je défends simplement son droit à exister", souligne son directeur, Nourredine Sahil. Alors que le public se précipite dans les salles pour se faire une opinion, Marock est aujourd'hui brandi par deux camps de plus en plus ouvertement opposés : les islamistes, pour qui ce film est synonyme de dépravation. Et les partisans de la laïcité, pour qui il est devenu l'emblème de la liberté.