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04 janvier 2012

Les 10 "mythes" du printemps arabe selon Juan Cole

Juan Cole


Spécialiste du Moyen-Orient et des politiques américaines, Cole démonte, sur son blog, les 10 "mythes" des révolutions dans le monde arabe. Résumé.
1- "Le renversement de Saddam Hussein par l’administration américaine est le déclencheur du printemps arabe". Aucun des jeunes révolutionnaires n’a évoqué l’Irak comme "source d’inspiration". Au contraire, l’Irak est perçu comme un exemple négatif, théâtre de violences communautaires et confessionnelles et politiquement dysfonctionnel. Plutôt que l’Irak, ce sont la Turquie ou la Tunisie qui inspirent les jeunes révolutionnaires. 

2- "Le président Obama a eu tort d’appeler à la démission de Moubarak". Au contraire, Obama a tardé à lancer cet appel. Et si le président américain ne l’avait pas lancé, l’Égypte aurait pu développer un anti-américanisme violent.

3- "Le radicalisme musulman est le grand bénéficiaire des révolutions dans le monde arabe". Faux, car jusqu'à présent, les grands gagnants des bouleversements sont les laïcs (Moncef Marzouki, président tunisien), les dissidents de gauche et les partis religieux musulmans (Frères musulmans en Égypte, Ennahda en Tunisie). Aucun d’entre eux n’est violent.

4. "Les groupes religieux musulmans ont été le fer de lance des révolutions". Cette affirmation, faite par l'Iran et les conservateurs occidentaux, est, dans une large mesure incorrecte. Les gauchistes, laïcs, travailleurs et étudiants sont à l'origine des révolutions. Si les partis religieux sont très efficaces pour remporter les élections, et donc sont peut-être les principaux bénéficiaires des révolutions, ils n’en ont pas été les fers de lance. 

5. "Le soulèvement à Bahreïn était simplement une manifestation des tensions sectaires entre sunnites et chiites". Les protestataires comprenaient des réformistes musulmans sunnites. Et les partis conservateurs qui appelaient à la répression des manifestations comprenaient les grandes familles commerçantes qui sont à la fois sunnites et chiites.
Au Bahreïn, comme dans tous les autres pays du monde arabe, les contestataires s’attaquent aux aspects autoritaires du gouvernement. Le débat porte donc sur la monarchie constitutionnelle et non sur l’établissement d’un pouvoir chiite.

6- "L'Iran est derrière le soulèvement à Bahreïn". Il n'y a pas de preuves de cette affirmation, qui est à l’origine de l’intervention militaire de l’Arabie saoudite et des Émirats Arabes Unis.
Les chiites de Bahreïn sont arabes et probablement la majorité d'entre eux appartient à l'école conservatrice Akhbari qui rejette les Ayatollahs. Les Chiites de Bahreïn appartenant à l'école Usuli, répandue en Iran et en Irak, sont plus susceptibles de suivre le leadership du grand ayatollah Ali Sistani (Irak), que celui du guide suprême iranien, Ali Khamenei. Les chiites de Bahreïn ne sont pas des "agents de l’Iran", mais protestent contre une Constitution et un système électoral qui les marginalisent.

7- "Le printemps arabe est un complot fomenté par l’Occident". Cette accusation a été faite d'abord par Mouammar Kadhafi puis a été reprise par Bachar el-Assad. Cette accusation est loin de la réalité car les soulèvements dans le monde arabe ont surpris les nations du G8 et ont été, dans un premier temps du moins, plutôt mal accueillies par l’Occident. Conclusion : ces soulèvements étaient spontanés, locaux, et fondés sur l’insatisfaction de la jeunesse.

8- "L’Otan est intervenue en Libye pour le pétrole". Les compagnies pétrolières occidentales avaient investi des milliards de dollars dans ce secteur en 2011, il est donc fort improbable que l’Occident ait recherché l’instabilité et risqué la mise en place d’un nouveau gouvernement qui pourrait ne pas respecter les engagements précédents. Dire que les pays occidentaux avaient des intérêts politiques en Libye relève du bon sens, mais évoquer uniquement l’intérêt pétrolier tient du "marxisme vulgaire".

9- "Les régimes dictatoriaux déchus ou fragilisés étaient/sont plus favorables aux femmes que les régimes islamistes qui leur ont succédés (peuvent leur succéder)". Au contraire, l’amélioration de la condition de la femme a été entravée par les régimes dictatoriaux. Le "féminisme d’Etat", parce qu’il était lié à des régimes dictatoriaux, a été contreproductif. Si la Tunisie et l'Egypte deviennent des régimes démocratiques, les femmes bénéficieront de nouvelles libertés, pourront s’organiser politiquement et adresser des demandes à l’Etat.

10- "Les bouleversements arabes sont un véritable désastre pour Israël". Il est vrai que les partis religieux musulmans arrivés au pouvoir en Tunisie et en Egypte soutiennent plus les Palestiniens que les régimes de Ben Ali et Moubarak, mais la question est plus complexe. En Syrie par exemple, le Conseil national syrien qui regroupe les forces d’opposition a déclaré qu’il cesserait de soutenir le Hezbollah et le Hamas s'il arrive au pouvoir. En Libye, le Conseil national de transition n’est pas anti-israélien.
Les changements dans le monde arabe, s’ils mènent à plus de démocratie, pourraient engendrer une normalisation de la question israélo-palestinienne dans la région. Ceci ne mettrait pas fin au conflit mais pourrait mettre fin à une politique dictatoriale pathologique.

"L'Orient Le Jour",
Beyrouth, 3 janvier 2012

Nota de Jean Corcos :
On peut bien sûr ne pas être d'accord avec toutes les affirmations de Juan Cole, mais je voulais vous soumettre ses idées, parfaitement "à contre courant" de ce que l'on peut lire dans la "blogosphère juive  francophone". S'il s'agissait d'un anti-israélien vicieux et obtus, je ne l'aurais pas repris, mais justement ce n'est pas le cas : au contraire, il pense que les révolutions arabes peuvent "apaiser" le conflit israélo-palestinien, et c'est sympathique ; de même, il refuse les théories fumeuses liant l'intervention occidentale en Libye uniquement au pétrole, et c'est heureux ; mais, et cela ne plaira pas à tout le monde, il refuse d'autres théories du complot, comme celles voyant la main des islamistes dans tout le processus révolutionnaire.