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24 avril 2011

Libye : la coalition redoute l'infiltration par al-Qaida

Terroristes de l'AQMI
(source : site "Algérie-plus")
 

À l'heure où les Occidentaux s'interrogent sur l'opportunité d'armer les rebelles libyens, les principales agences de renseignement manquent d'informations sur l'infiltration, par des membres d'al-Qaida, de l'insurrection anti-Kadhafi. Devant le Sénat américain, l'amiral James Stavridis, commandant des Forces de l'Otan en Europe, vient d'évoquer «des soupçons» de présence djihadiste parmi les insurgés. «Nous devons être très vigilants quand on parle d'armer les rebelles , affirme au Figaro Mike Shereur, ancien haut responsable de la CIA en charge de la traque d'Oussama Ben Laden. Les Libyens ont été parmi les premiers à établir leur propre camp d'entraînement en Afghanistan au milieu des années 1980. Et, aujourd'hui, ils jouent un rôle important autour de Ben Laden, qu'il s'agisse d'Abou Yaya, le numéro 3 d'al-Qaida, ou d'Abou Laith, l'un des plus importants chefs militaires de l'organisation terroriste.»
Les Américains n'ignorent pas que la Libye a été l'un des principaux pourvoyeurs de moudjahidin étrangers en Irak. En décembre 2007, à Sinjar (nord de Bagdad), le Pentagone mit en effet la main sur 700 fiches décrivant les pays d'origine, motivations et itinéraires empruntés par chacun des djihadistes étrangers infiltrés dans le pays via la Syrie. Les conclusions du rapport Sinjar ne peuvent que nourrir l'inquiétude.
À l'époque, les Libyens constituaient le deuxième contingent djihadiste derrière les Saoudiens, avec 112 Libyens, soit près de 20 % des moudjahidins étrangers entrés en Irak au pic de la violence en 2006 et 2007. Loin devant les Algériens, les Syriens et les Yéménites.
Autre donnée alarmante: Darnah, un des fiefs de la rébellion contre Kadhafi, est la ville qui fournit le plus de djihadistes, devant Riyadh, la capitale saoudienne. Sur les 112 Libyens infiltrés dans l'ancienne Mésopotamie, 53 venaient de Darnah et 21 de Benghazi, la capitale de l'insurrection contre Tripoli. Enfin, les moudjahidins libyens étaient les plus déterminés à se transformer en kamikazes. 85% d'entre eux avaient délibérément choisi de mourir en martyr.

Vétérans afghans

Abou Abbas, Abou al-Walid ou Abou Bakar - leurs noms de guerre - s'étaient répertoriés comme «employé», «étudiant» ou «enseignant»: bref, ils étaient issus de toutes les strates de la société, comme ceux qui combattent aujourd'hui pour se libérer du joug de Kadhafi.
Opposés de longue date au régime de Tripoli, Darnah et Benghazi sont en fait des bastions de l'islamisme radical. Au milieu des années 1990, les deux villes ont été le théâtre de soulèvements intégristes extrêmement violents contre Kadhafi, qui dut recourir aux hélicoptères de combat pour soumettre les «barbus». Ces dernières années, la montée en puissance des Libyens dans le djihad mondial fut le résultat direct de l'adoubement donné par Ben Laden en novembre 2007 à la succursale libyenne d'al-Qaida: jama'ah al-libiyah al-muqatilah.
Beaucoup de Libyens ont très certainement péri en Irak, mais pas tous. L'un d'entre eux a encore été arrêté en fin d'année dernière lors du démantèlement d'une cellule d'al-Qaida à Bagdad. Les retours en Libye sont actuellement scrutés par les espions occidentaux, qui cherchent également à savoir combien de vétérans afghans combattent aujourd'hui avec la rébellion. L'un d'entre eux, Abdul Hakim al-Hasadi, s'est livré récemment à un journal italien. «Les membres d'al-Qaida sont de bons musulmans et luttent contre l'envahisseur», a déclaré ce moudjahidin de Darnah, rentré d'Afghanistan en 2002. Selon Il Sole/24 Ore, une radio de la ville diffuserait le message suivant: «Frères qui avez combattu en Irak et en Afghanistan, il est temps maintenant de défendre votre terre.»
«Il ne s'agit pas de commettre la même erreur qu'en Afghanistan», prévient un diplomate français, qui rappelle les livraisons d'armes américaines consenties aux djihadistes avant que ces derniers ne les utilisent contre leurs ex-alliés. En Libye, les sympathisants d'al-Qaida ont aujourd'hui tout intérêt à masquer leurs amitiés. Ils ont besoin des Occidentaux pour se débarrasser de Kadhafi et asseoir leurs positions. Un peu comme les rebelles chiites d'Irak, qui avaient accueilli à bras ouverts les soldats américains en 2003 afin que la démocratie leur donne le pouvoir. Avant de retourner ensuite leurs armes contre leurs libérateurs.

Georges Malbrunot
Le Figaro, 1er avril 2011