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14 mai 2009

« L’administration américaine provoque la panique auprès de ses alliés », par Amir Taheri

Introduction :
J’ai déjà eu l’occasion de reprendre ici des articles d’Amir Taheri, et il faut remercier aussi Albert Soued - déjà invité deux fois à mon émission - pour ses traductions de l’anglais, régulières et fort utiles. Soyons clairs : Amir Taheri, né iranien et lui-même exilé politique, a été un fervent supporter du « New Middle East » promu par l’administration Bush ; il n’est donc pas étonnant qu’aujourd’hui il critique la nouvelle administration ... mais certains de ses propos sonnent assez juste, hélas !
J.C

L'administration Obama a proposé de parler aux ennemis de l'Amérique, en particulier au Moyen Orient. A ce jour, cette proposition n'a pas trouvé d'acquéreur. Comme condition préalable à tout pourparler, l'Iran a demandé aux États-Unis de changer d'une manière substantielle leur politique étrangère. La Syrie a demandé que les États-Unis contribuent à arrêter toute enquête sur le meurtre de l'ex-premier ministre du Liban, Rafik Hariri et a insisté pour qu'ils reconnaissent son hégémonie sur le Liban, avant toute conversation substantielle avec Washington ! Les Talibans insistent pour que toutes les troupes étrangères soient évacuées d'Afghanistan avant d'envisager de converser.

Bien! Quand vos ennemis ne veulent pas vous parler, pourquoi ne pas parler à vos amis? Et c'est précisément cela que la nouvelle administration ne veut pas faire, sous prétexte qu'elle poursuivrait alors la politique "défaillante" de l'administration Bush.
Rappelons que le président Obama n'a pas répondu aux messages de vœux venant de ses alliés du Moyen Orient, à l'occasion de son entrée à la Maison Blache. Nouri al Maliki a dû attendre 3 semaines. Hamid Karzai a attendu 40 jours. Les dirigeants de pays amis comme le Maroc, l’Égypte, la Turquie, la Jordanie, l'Arabie Saoudite ont attendu moins longtemps, mais n'ont reçu qu'un message protocolaire, sans contenu politique.
Les émissaires d'Obama dans la région ont bien montré qu'ils étaient plus soucieux de rameuter leurs ennemis que de courtiser leurs amis.
Richard Holbrooke, envoyé spécial en Afghanistan et au Pakistan a parlé de son désir de s'adresser aux Talibans, mais a cité des problèmes d'agenda pour ne pas rencontrer ses véritables amis parmi l'élite afghane ou pakistanaise. A Kaboul, il était clair que la nouvelle administration voyait la présidence de Karzai comme un héritage de Bush. Au Pakistan, elle a envoyé des signaux que Washington n'était pas prête à soutenir le gouvernement du président Asif Ali Zardari.
La secrétaire d’État Hillary Clinton a daigné seulement serrer la main du 1er ministre Libanais Fouad Siniora, juste pour une photo, lors d'une conférence sur Gaza en Égypte. Pourtant la coalition de gouvernement Siniora doit faire face en juin à des élections cruciales et aurait mérité d'avoir le soutien américain. En lieu et place, elle a été snobée.

Préoccupés par l'abandon des États-Unis, ces alliés commencent à paniquer.
La semaine dernière, l'Arabie Saoudite a reçu un sommet de 4 dirigeants arabes qui ont acclamé le retour de la Syrie au bercail de la politique régionale. En échange, la Syrie a obtenu un "droit de regard" sur le Liban, qu'elle utilisera pour peser sur les résultats des prochaines élections (1).

En Afghanistan, les opposants à Karzai ont lancé une campagne pour l'empêcher de postuler pour un nouveau mandat. Les cercles pro-iraniens jouent sur le thème de "l'Iran protecteur fiable" d'un nouveau régime à Kaboul, au moment même où les Américains cherchent à restaurer le régime des Talibans.
En Irak, on est préoccupé par le retrait des troupes américaines et ceci a divisé les Kurdes, les amis les plus fidèles de Washington. Massoud Barzani essaie de former une alliance avec la Turquie, pour équilibrer la puissance de l'Iran dans l'ère post-américaine. L'autre chef kurde Jalal Talabani, lui, prétend qu'une fois les Américains dehors, seul l'Iran peut protéger le nouvel Irak, contre les forces sunnites arabes qui chercheraient à se venger. Même le 1er ministre Nouri Al Maliki, toujours méfiant des intentions de Téhéran, s'est senti obligé de calmer les mollahs, en offrant à leur protégé Moqtada al Sadr, un partage du pouvoir.
Au Pakistan, convaincus que les États-Unis ne le soutiennent plus, les adversaires de Zardari ont lancé une série de manifestations nationalistes dans tout le pays. L'ex-premier ministre Nawaz Sharif, dont le gouvernement avait laissé les Talibans conquérir le pouvoir, essaie de revenir en traitant Zardari de marionnette américaine installée par Bush et abandonnée par Obama.
Entre temps, la Turquie craint qu'Obama ne signe un accord important avec les mollahs, reconnaissant l'Iran comme la puissance régionale. Ce qui laisserait la Turquie dans l'ombre - incapable de rejoindre l'UE et marginalisée au Moyen Orient. Ces craintes ont incité son président Abdallah Gul à trouver une excuse pour visiter Téhéran - pour la 1ère fois un président turc rencontre le suprême guide Ali Khamenei.

Grâce à cette perception que les États-Unis prennent le large et que la République islamique a le vent en poupe, ces dernières semaines, Téhéran a reçu une douzaine de présidents et de premiers ministres d'Asie centrale, du Caucase et du Moyen Orient. Dans tous les cas, l'idée était de conclure un accord avec l'Iran avant qu'Obama ne le fasse avec ce pays.

La nouvelle politique des États-Unis, ou plutôt l'absence de politique peut avoir un effet dévastateur sur les forces démocratiques, à travers une région qui verra des élections cruciales en Afghanistan, en Iran, en Irak, au Liban, dans les Territoires autonomes, en Égypte et en Algérie. Les ennemis de l'Amérique dans la région pourraient réaliser un coup stratégique avant qu'Obama n'ait pu établir une politique crédible au Moyen Orient.

Amir Taheri,
New York Post, 17 mars 2009

Traduction d'Albert Soued, pour http://www.nuitdorient.com/


Note de www.nuitdorient.com :
(1) Les forces du 14 mars risquent d'être mises en minorité, laissant la voie libre à une coalition où le Hezbollah dominerait. Ce scénario possible rappelle les élections à Gaza et la venue au pouvoir du Hamas. Un coup d'état du Hezbollah au Liban, chassant toutes les forces démocratiques, pourrait suivre un tel scénario, d'autant plus que le Hezbollah n'a pas été désarmé et constitue la principale force militaire du pays.
On peut se demander s'il s'agit d'une politique américaine de "repli sur soi" ou le laissez-faire machiavélique d'un président "cheval de Troie".