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07 janvier 2007

Le Pen, candidat des Mollahs

Jean-Marie Le Pen (photo AFP)

Au moins les choses sont claires, pour l’un des problèmes les plus lourds de l’agenda international - un problème existentiel pour Israël et pour le peuple juif : Jean-Marie Le Pen est le seul candidat à la Présidence de la République à ne pas s’inquiéter d’un Iran en passe de posséder l’arme nucléaire, et donc de sanctuariser définitivement son territoire ... en attendant de répandre la révolution islamique à l’extérieur ! Le leader du Front National, avec un flair politique remarquable, a très bien compris qu’électoralement parlant, il n’avait rien à perdre en se positionnant clairement sur le sujet ; qu’en adoptant une position « scabreuse » il restait fidèle à sa réputation d’éléphant dans le magasin de potiches politiques en porcelaine ; et que sur le fond (voir développement un peu plus loin) ce genre de position lui donnerait plutôt l’avantage par rapport à ses concurrents.

Kavéh Mohseni, qui a été mon invité déjà deux fois à mon émission, et qui est le responsable du remarquable site d’opposition iranien « iran-resist » (en lien permanent), a publié un article intitulé "Pourquoi Le Pen défend officiellement l'Iran et son droit à la bombe ?". Sa théorie est que, en politicien roué, le vieux leader de l’extrême-droite française sait parfaitement que la prolifération nucléaire, qui va se développer de l’Iran à l’ensemble du monde musulman, entraînera un contexte instable, favorable aux intégristes et qui, par réaction, donnera un coup d’accélérateur à une réaction nationaliste et xénophobe en France. Un calcul dangereux et désastreux, que Kavéh Mohseni a bien raison de dénoncer ! Mais ( et en toute amitié ) je trouve son analyse un peu limitée, car l’engouement de Jean-Marie Le Pen s’explique, à mon avis, par des raisons à la fois idéologiques et tactiques.

D’abord je pense (mais peut-être suis-je naïf ?) que les responsables politiques - et Le Pen en est un, même si ses propos furent souvent irresponsables - maintiennent un minimum de cohérence entre ce qu’ils disent et ce qu’ils pensent. A fortiori s’ils sont extrémistes, car leur exclusion du champ du décisionnel leur permet de rester fidèles à leurs idées ! Le grand parti d’extrême-droite a donc des partis « frères » aux côtés desquels il siège au parlement européen (en gros tous les populistes, les néofascistes italiens non repentis et les néo-nazis autrichiens de Jörg Haider). Et il ne peut que sympathiser avec la mouvance islamiste qui est la version musulmane des « bruns » européens (relire à ce sujet les propos de Latifa Ben Mansour sur le plateau de « Rencontre » : "Les frères musulmans sont un parti d'extrême-droite antisémite").

Antisémite, le mot est lâché et il prend tout son goût de cendre lorsqu’une grande capitale (Téhéran) est devenue, sans complexes, la capitale mondiale du négationnisme le plus abject. Mahmoud Ahmadinejad a tenu des discours répétés distillant que la Shoah est un mythe et que les Juifs en ont profité, et il vient d'organiser l'ignoble "conférence" que l'on sait ; Jean-Marie Le Pen avait dit il y a déjà presque 20 ans que les chambres à gaz étaient « un détail de l’Histoire » ; et la presse du Front National n’a jamais faibli dans la dénonciation des obscurs « lobbies mondialistes » exploitant le souvenir de la Seconde Guerre Mondiale.

Mais la sympathie de Le Pen pour les Mollahs ne s’explique certainement pas, non plus, par un amour inconsidéré pour la constitution de la République islamiste. Son vrai, son plus acceptable ami dans la région avait été le Président déchu de l’Irak, Saddam Hussein, dont il a condamné de la façon la plus véhémente l'exécution - ce qui ne manque pas de sel, venant du seul candidat à vouloir rétablir la peine de mort dans notre pays ! L’actualité va trop vite, et on rappelle assez peu son pitoyable voyage entre l’invasion du Koweït et la guerre du Golfe en 1991, sa réception à Bagdad et sa dénonciation - en parfait diapason avec l’extrême-gauche - de « la guerre pour le pétrole ». A l’époque (et toujours maintenant d’ailleurs), on pouvait entendre sur les ondes de « Radio Courtoisie » (la radio du « pays réel » - celui de Charles Maurras - et de la francophonie) moult éloges du régime baasiste, laïc et ami de la France. Saddam disparu, restent ses ex-ennemis iraniens aussi fanatiquement antisémites que lui, et qui l’ont remplacé comme challengers crédibles des Américains au Moyen-Orient.

Et voilà un dernier argument, qui curieusement fait partie des « non dits » de la classe médiatique face au vieux leader : l’anti-américanisme est tel en France que la dénonciation des USA par Le Pen, ses insultes à Sarkozy traité de « vassal de l’Oncle Sam » passent très bien ! Il faudrait être un peu politologue pour expliquer que l’hostilité aux Anglo-Saxons est aussi vieille que l’extrême-droite française, qu’elle se nourrit de la haine parallèle d’Israël et des Juifs, et que nous en avons connu un bel épisode sous l’Occupation, lorsque Radio Paris dénonçait les « bombardements barbares » de l’US Army ! Plus près de nous, Jany Le Pen présidait il y a peu l’association « SOS Enfants d’Irak » et dénonçait les « affameurs américains ».
Or tout cela paie, paie énormément dans notre pays. Jean-Marie Le Pen en a encore rajouté une couche, lors d'un discours prononcé en Vendée le 22 octobre : d'après le journal "Le Figaro", il a "vivement critiqué les États-Unis qui sont souvent instigateurs de la guerre" et insisté sur "le déséquilibre actuel des rapports internationaux" né de "la disparition de l'Empire soviétique, pour salutaire qu'elle fût". Préconisant "la grande Europe, de Brest à Vladivostock", il a estimé "qu'elle ferait pièce aux visées hégémoniques de Washington". Nicolas Sarkozy risque par contre de rater son élection en raison d’une poignée de mains de trop avec Georges Bush. Et cinq, peut-être six millions de Français n’auront aucun complexe en allant voter pour celui qui était allé hier soutenir Saddam, et qui ira peut-être demain cirer les babouches d’Ahmadinejad.

A propos des liens passés du Front National avec le régime de Saddam Hussein, lire le remarquable dossier du journal "l'Express".

Fin politique, le président du Front National a aussi intégré les mutations démographiques de la France, et la nécessité de "draguer" une partie des électeurs issus de l'immigration, excédés par l'insécurité des banlieues et ... probablement sensibles, hélas, à sa rhétorique anti-israélienne. A noter cette affiche de campagne de Le Pen, totalement inattendue mais qui semble marquer un tournant.

Combien symbolique apparait pour finir l'accueil chaleureux de Dieudonné à la fête des "Bleus-blancs-rouges ! Aux yeux des caméras, l'antisionisme militant était venu réconcilier, grâce à l'ex-amuseur public, les deux extrémismes de la politique - celui de l'extrême-gauche, qui refuse le droit à l'existence d'Israël, mais qui est prête à pactiser avec les pires fascistes islamistes toujours par haine des États-Unis ; et celui de l'extrême-droite la plus dure, qui n'arrive pas à digérer l'insupportable liberté retrouvée des Juifs, en tant que peuple vivant dans en État indépendant ! On lira à ce sujet la remarquable documentation sur Dieudonné et le FN publiée sur le très intéressant blog de Vinz, que j'ai dernièrement ajouté aux liens permanents.

Jean Corcos