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19 octobre 2005

Procès de Saddam Hussein : silence gêné du Monde arabe


Photo AP, prise au Koweit, 19 octobre 2005

Le premier procès de Saddam pour crimes contre l’Humanité vient de commencer à Bagdad. Le président déchu et sept de ses lieutenants sont jugés devant le Tribunal spécial irakien (T.S.I) pour le massacre de 143 villageois chiites en 1982 et risquent la peine de mort.

Alors que le peuple irakien manifeste sa joie de voir le tyran enfin jugé, et souhaite en majorité une justice « expéditive », les peuples arabes (en tout cas les médias qui s’expriment en leurs noms) manifestent plutôt un « silence gêné ».
Ci-dessous l’extrait d’un article publié dans "Libération" en date du 18 octobre :

"Le premier procès d'un chef d'Etat arabe déchu suscite un mélange d'intérêt et de scepticisme dans le monde arabe. Jamais avant Saddam Hussein, un dirigeant arabe, monarque ou autocrate républicain, ne s'est retrouvé face à un tribunal malgré les accusations de dictature, d'illégitimité et de violation des droits de l'Homme et la multiplication des coups d'état depuis les indépendances nationales. Mais la curiosité et le peu de sympathie affiché pour le dictateur irakien, en particulier dans la presse du Golfe et d'Egypte, se mélangent à un fort sentiment de défiance envers une justice irakienne perçue comme aux ordres de Washington. Une gêne qui se traduit par une couverture assez discrète. D'autant que, même si Saddam Hussein n'était pas aimé, les conditions de son arrestation ont été ressenties comme une «humiliation» par l'opinion arabe. «Le fait que ce procès ait lieu dans un pays occupé par les Américains réduira son importance aux yeux de l'opinion arabe», souligne Moustafa Kamal al-Sayyed, professeur à l'Université américaine du Caire."

Cette gêne, ce silence, ce sentiment d’orgueil nationaliste blessé, j’en ai eu conscience il y a près de trois ans (15 décembre 2002), lors de mon émission avec le Professeur Halkawt Hakem, réfugié kurde d’Irak vivant à Paris. Ci-dessous la retranscription d’un extrait de l’interview :

Jean Corcos :

Halkawt Hakem, nous nous devons de parler de votre propre peuple, le peuple kurde d’Irak et d’évoquer la mémoire des victimes, en particulier de la ville martyre de Halabja, à propos de laquelle le journal Le Monde a publié un très bel article, le 2 novembre 2002. Rappelons que dans cette ville du Kurdistan, à la frontière de l’Iran, l’aviation irakienne a effectué le 16 mars 1988 un bombardement chimique avec un mélange de gaz sarin, tabun et VX qui en quelques heures a tué plus de 5000 personnes et laissé, je crois, presque 12 000 handicapés à vie. Comment expliquez-vous le silence du monde, en particulier des Américains, au moment où ont été commis ces crimes ?

Halkawt Hakem :

Dans les années 1980, l’Irak est entré en guerre contre l’Iran qui essayait d’exporter sa révolution islamique. A cette époque, l’Irak protégeait les intérêts des pays occidentaux en empêchant que l’ensemble de la région ne subisse l’influence de pays islamiques comme l’Iran. Ce conflit a masqué les exactions et les massacres perpétrés alors par l’armée irakienne et plus particulièrement en 1988 sur les populations kurdes, et aussi bien le monde occidental que le monde arabe a observé un silence sur ce que l’on peut appeler une sorte de génocide contre les Kurdes.

Jean Corcos :

Comment expliquez-vous ce silence ? Ne pouvons-nous pas dire que ce génocide trouve sa cause dans la menace que représentaient les Kurdes pour tous les nostalgiques de l’unité arabe qui voyaient un peu en Saddam Hussein le fils spirituel de Nasser, et le dernier représentant de cette lignée de chefs d’état ? Ou bien est-ce que les élites arabes ont une vision des droits de l’homme à deux vitesses selon l’origine du persécuteur, en passant les crimes sous silence radio si celui-ci est arabe ?

Halkawt Hakem :

Vous savez très souvent dans le monde arabe même dans le monde entier, on parle de la politique de deux poids, deux mesures vis à vis d’Israël et de la population palestinienne : on dit que les Israéliens n’appliquent pas les résolutions de l’ONU alors que les Nations Unies ou les Etats-Unis imposent l’application de résolutions aux Irakiens ou aux Palestiniens. Mais, même s’il y a une part de vérité dans cette remarque, la plus grande politique de deux poids, deux mesures, est appliquée dans le monde arabe à l’encontre de la population irakienne et des Kurdes. Le monde arabe ne parle jamais des crimes commis par le régime irakien contre les Kurdes, contre la population arabe. Pour quelles raisons ? Je pense que le monde arabe, qui a l’esprit et les yeux fixés sur le problème palestinien, ne veut pas qu’une autre question aussi juste soit-elle, soit exposée, exprimée au sein de sa population, surtout quand cette question concerne un pays ou un dictateur arabes et qu’elle peut de plus amener l’opinion publique à accorder moins d’importance au sort des Palestiniens car, en comparaison, la population kurde a beaucoup plus souffert que la population palestinienne. Assez souvent d’ailleurs, les Kurdes disent souhaiter avoir autant de droits et de libertés que les Arabes en Israël. Les Palestiniens ont la possibilité de mener une Intifada : en deux ans, il y a eu 2000 tués palestiniens. En un quart d’heure, Saddam Hussein, le chantre du nationalisme arabe, a tué 5000 personnes, et, contrairement aux Palestiniens dont la cause est défendue à travers le monde, personne n’a rien dit.

A propos de l’Irak, voir également sur le blog les articles :
12 octobre 2005