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20 janvier 2014

Dieudonné M'Bala M'Bala et l'extrême-droite : au delà de l'antisémitisme, un discours commun



Cette modeste contribution sur le nauséabond "dossier Dieudonné" va tourner uniquement autour d'une idée simple : la mouvance Dieudonné, avec ses spécificités, est clairement d'extrême-droite ; elle relaie les haines et les obsessions de l'extrême-droite et pas seulement l'antisémitisme ; et elle n'hésite pas, le cas échéant, à partager annonces et publications avec le Front National ou bien au delà, carrément jusqu'aux néo-nazis et divers illuminés sectaires de la Toile.

Pour le démontrer, je vous propose une série de liens, découverts principalement en visitant les innombrables pages FaceBook de ses supporters.

Commençons par la manifestation de dimanche 26 janvier à Paris, à laquelle toutes les pages de soutien à Dieudonné appellent à se joindre. Vincent Glad s'est penché dans "Slate.fr" sur la nébuleuse rassemblée autour du mystérieux collectif de ce "Jour de colère" : "Bonnets rouges" en révolte contre l'Etat ; intégristes catholiques anti-IVG de Civitas ; frange radicale des opposants au "mariage pour tous" ; mais aussi "identitaires" et islamophobes de "Résistance républicaine" ; il s'agit clairement de l'extrême-droite, même si le F.N n'est pas associé ! Lire sur ce lien
"Poussettes, bonnets rouges et quenelles", mais parfois contradictions : comment les supporters musulmans de Dieudonné, enragés de l'antisionisme radical, vont-ils se sentir à l'aise en défilant en même temps que des islamophobes ? Gêné, le Gourou a mis sur sa page FaceBook officielle le 11 janvier, "Venez nombreux le 26 janvier à 14h place de la Bastille ! et ne vous fiez pas aux rumeurs comme quoi la manif serait anti islam ! c'est faux !" 

Mais on pourrait aller plus loin : comment, alors que Marine Le Pen a fait de l'hostilité à l'immigration et aux Musulmans un de ses axes de propagande, Dieudonné et ses fans peuvent-ils "rouler pour eux" ? Et bien, ils le font, et sans complexes ! Ainsi, le 17 janvier, les "Quenelliers Parisiens" ont-ils mis en ligne cet enregistrement hyper violent de Roger Holeindre, un des fondateurs ... du Front National. Ecoutez sur ce lien

Autre élément du discours d'extrême-droite et pas seulement chez Holeindre, une fixation obscène sur de soit disant pratiques pédophiles qui auraient cours "dans le système", bien entendu chez les Juifs. Ainsi le groupe FaceBook "Les Dieudonnistes Bretons" a publié le 3 janvier un lien sur un site arabe et antisémite, prétendant que les enfants étaient systématiquement violés dans les "Mikvéh" (bains rituels juifs) : lire ici. Dieudonné enfonce le clou dans des sketchs, voir ici sur un blog par ailleurs totalement délirant, "Le nouvel ordre mondial": (lien)
C'est bien entendu parfaitement horrible, mais il faut voir aussi le genre d'illustrations que publient ses supporters : ainsi cette image, publiée (entre autres) le 9 janvier sur la page FaceBook "Les Quenelliers Parisiens" :


Au delà de cette thématique vicieuse, on retrouve toute la logique du discours de Dieudonné et des antisémites qui le soutiennent : la théorie du complot, le "système" qui s'auto-protège, alors que lui, pauvre humoriste, est injustement condamné ; avec bien entendu, aussi, un antisémitisme crasse, parce que pourquoi seulement Polanski ? Et puis les mensonges les plus énormes : quand et où le CRIF ou la LICRA ont-ils pris la défense de Polanski ?

Autre grand classique du discours de l'extrême-droite, le "complot maçonnique", les sociétés secrètes, "Illuminatis" et autres délires ; on trouve une belle collection de ces théories fumeuses et bien sûr de haine antisémite sur ce blog, "Le libre penseur", naturellement chaleureux supporter de Dieudonné. Il est produit par le "Docteur Salim Laïbi" : Lien sur ce blog. Mais il s'agit d'un exemple entre des dizaines, car les blogs "complotistes" prospèrent hélas sur la Toile !

D'une manière générale, la "théorie du complot" est un grand classique de l'extrême-droite, depuis l'Abbé Barruel qui interpréta la Révolution Française de 1789 comme un "complot judéo-maçonnique", jusqu'aux fameux "Protocoles des Sages de Sion" : Dieudonné en cristallise le retour, comme l'explique le politologue Jean-Yves Camus sur "Akadem" - repris par l'excellent site "Conspiracy Watch" : écoutez ici


La théorie du complot menant directement aux délires des "Protocoles des Sages de Sion", on ne s'étonnera pas de retrouver dans l'iconographie la reprise des pires caricatures de l'époque du nazisme. Ainsi voici un grand classique, la figure du "Juif araignée" tenant entre ses pattes velues un globe terrestre :


Béatrice Pignède, ancienne journaliste de l'émission "Arrêt sur image" et qui évolue depuis dans la "galaxie complotiste" Meyssan - Dieudonné, a produit avec un financement iranien un film intitulé "L'Oligarchie et le Sionisme" (lire également sur "Conspiracy Watch"). L'affiche du film représente une créature démoniaque, couverte de signes associés aux Juifs et à la finance mondiale, et qui présente une ressemblance étonnante avec l'image précédente. Or c'est cette affiche qui sert d'illustration de la page FaceBook du groupe "Les Dieudonnistes vous informent" !


Enfin, il y a une récurrence dans le discours de l'extrême-droite, celui d'un monde où "tout est pourri" : voilà ce qui a été publié sur la page du "Mouvement Quenellier" le 17 janvier. A noter que l'auteur de cette citation est un américain, antisioniste radical et que je ne connaissais pas ; mais cela suffit à lui donner des lettres de créance chez les "Dieudonnistes" !


Avec tout cela, les résultats de ce sondage sont vraiment peu étonnants : c'est à l'extrême droite, chez les électeurs du Front National, que l'on trouve le plus fort pourcentage (32 %) de ceux qui ont une bonne opinion de Dieudonné : lire ici

En conclusion, le phénomène Dieudonné est bien la réincarnation - avec un langage nouveau, et bien sûr l'utilisation comme fédérateur de l'antisionisme radical - d'une bouillie idéologique d'extrême-droite, qui revient en force avec la dépression collective du pays.

Jean Corcos

19 janvier 2014

Le retrait américain du Moyen-Orient : Bruno Tertrais sera mon invité le 26 janvier



Retour à l'actualité dimanche prochain, car nous allons en effet parler de l'Iran et du dossier du nucléaire militaire, et bien entendu du fameux "accord de Genève" dont le principe a été signé le 24 novembre avec le groupe des grandes puissances, dit "P5 + 1", accord qui vient d'entrer en application le 20 janvier. Mais nous prendrons aussi du recul sur le sujet : en effet, le coup de tonnerre qu'a constitué cette nouvelle, les sourires échangés les semaines précédentes entre le nouveau président iranien Hassan Rouhani et Barack Obama, tout ceci marque pour les observateurs un tournant dans la diplomatie des USA : renversement d'alliances ? Abandon de ses alliés dans la région ? Nouvelle preuve d'amateurisme d'une administration américaine qui ne maitrise plus rien ? Retrait en raison d'un choix stratégique de long terme ? Toutes les hypothèses sont possibles. Pour en parler, j'aurai le plaisir d'avoir comme invité un des meilleurs experts en géostratégie sur ces sujets, Bruno Tertrais. Bruno Tertrais, mes auditeurs fidèles s'en souviennent, avait déjà été mon invité il y a quatre ans, et mon émission avait pour titre "Iran, la bombe en 2010 ?". Quelques mots de rappel pour le présenter : il est maître de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique, et membre de "l'International Institute for Strategic Studies" de Londres. Expert en prolifération nucléaire, il a écrit de nombreux ouvrages sur le sujet. Partisan d'une attitude ferme vis à vis de l'Iran, il a été traité de "néo-conservateur" car il participe à la revue "Le Meilleur des Mondes", qui avait soutenu l'intervention américaine en Irak. Mais il est également proche du pouvoir socialiste actuel, et il a été membre de la commission du "Livre blanc sur la Défense". Enfin, penseur décidément iconoclaste, il a reçu en 2013 le "Grand Prix de l'impertinence et des bonnes nouvelles pour un essai intitulé "Un monde de catastrophes ? Mythes et réalités du progrès".

Parmi les questions que je poserai à Bruno Tertrais :

-       Sur les négociations sur le nucléaire iranien, vous avez écrit un article intitulé "L'accord de Genève sur l'Iran, ni "Munich", ni "Camp David", publié le 11 décembre dernier dans le "Huffington Post": "ce n'est pas un accord résolvant la question nucléaire, mais il est seulement destiné à bâtir la confiance et à ouvrir la voie d'un règlement final". Mais vous disiez aussi en conclusion "Personne ne sait si l'ayatollah Khameneï et le président Rouhani ont abandonné pour de bon l'option militaire, ou s'ils essaient juste de gagner du temps" : que dit cet accord de Genève, et quelles sont les zones de flou qui subsistent ?

-       On a relevé du côté d'Israël plusieurs motifs d'inquiétudes : d'abord le fait qu'il y ait eu, côté américain, des négociations secrètes depuis plusieurs mois, et même avant l'élection de Hassan Rouhani ; ensuite on a vu le recul américain quelques semaines avant, après avoir menacé d'intervenir contre le régime Assad, allié de la République Islamique ; ce recul faisait suite à l'accord sur la destruction des armes chimiques de la Syrie, et certains disent que au delà de la Russie, c'est l'Iran qui avait déjà négocié la sortie de crise avec les Américains ; enfin il y a eu la faiblesse des réactions américaines suite au discours de Khameneï du 20 novembre, discours quasiment génocidaire où il a dit que les Israéliens "ne méritaient même pas le qualificatif d'être humain" : qu'en pensez-vous ?

-     Si on interprète le refus d'intervenir militairement des Etats-Unis, d'abord contre Damas, puis contre le programme nucléaire iranien, on peut se demander s'il s'agit d'un véritable choix diplomatique de Barack Obama qui est profondément pacifiste, ou si cela vient d'une limitation réelle de la puissance américaine : les deux guerres en Irak et en Afghanistan ont été vécues, à tort ou à raison, comme des échecs ; cela a contribué à ruiner les USA ; les finances américaines sont dans un état calamiteux, et la fameuse "politique monétaire accommodante" consiste à imprimer virtuellement 85 milliards de dollars par mois ; surtout, l'opinion publique semble lasse de tous ces conflits, et il y a l'exigence nouvelle d'avoir "0 morts" à chaque intervention, ce qui revient à abandonner partout le terrain : cela n'est-il pas très inquiétant ?

-        Il y a une autre interprétation pour ce retrait américain, celle-là moins liée à un déclin mais plus aux bouleversements géopolitiques de la Planète : en effet, on lit de plus en plus que les USA font un basculement stratégique vers l'Asie, là où se situe dorénavant le centre de gravité économique mondial ; c'est là bas que se trouve dorénavant leur grand rival, la Chine qui va les dépasser vers 2025. D'autre part, redevenus une puissance pétrolière grâce à l'exploitation du gaz de schiste, les Etats-Unis peuvent abandonner le Moyen-Orient sans regrets : croyez-vous à ces hypothèses ?

Des questions décidément bien angoissantes, et il y en aura bien sûr d'autres également ... soyez nombreux au rendez-vous !

J.C

16 janvier 2014

Hommage à Ariel Sharon, par André Nahum



Il est habituel qu’une personne décédée soit couverte de louanges quoi qu’elle ait fait de son vivant. « Le mort, ses jambes s’allongent » disait-on chez moi. « Il est plus grand mort que vivant » s’est écrié un roi de France devant le cadavre du duc de Guise.

Le décès d’Ariel  Sharon après ses huit années de coma n’a pas suscité partout les mêmes réactions.
Si tout le monde s’accorde pour reconnaitre qu’il fut un génie militaire, il est par contre blâmé un peu partout pour les massacres en 1982 des camps palestiniens de Chabra et Chatilla, dont on lui fait porter à tort la responsabilité alors qu’il est le fait des « Forces libanaises »  sous l’autorité de Elie Hobeika ; et par ailleurs, une frange de la population israélienne ne peut lui pardonner l’évacuation  en 2005  de la bande de Gaza alors qu’il était Premier Ministre.
Les réactions du monde arabe allant quant à elles de l’indifférence aux explosions de joie comme à Gaza où des bonbons ont été distribués dans les rues. 

Voyons cela de près :

Durant la guerre de Kippour en 1973, les Egyptiens avaient forcé les lignes israéliennes et menaçaient le cœur vital du pays tandis que les Syriens attaquaient sur le Golan. Israël  se trouvait dans une situation extrêmement difficile et sa survie était en jeu. C’est alors que le général Sharon qui s’était déjà distingué dans toutes les guerres que son pays  eut à mener depuis sa déclaration d’indépendance, passant outre les ordres de ses supérieurs civils et militaires entreprit une manœuvre d’une audace folle  que l’on étudiera longtemps dans les écoles militaires. Avec les quelques tanks dont il disposait, il traversa le canal de Suez, contourna les Egyptiens par le sud, les encercla, coupant  leurs lignes de ravitaillement et  arriva à cent kilomètres du Caire . Un exploit surprenant, impensable,  qui donna la victoire à Israël ! Sous la pression des Américains il dut stopper sa progression , se vit obligé de ravitailler lui-même l’armée ennemie prise au piège et d’éviter ainsi sa reddition. L’Etat juif était sauvé et Ariel Sharon inscrivait son nom auprès des plus grands stratèges militaires de l’Histoire. 

Mais il y eut aussi  des zones d’ombre :

1) Sabra et Chatila.
1982 : Les Israéliens campaient dans la banlieue de Beyrouth. Béchir Gemayel, leur allié, élu Président  de la République libanaise venait d’être assassiné ainsi que ses compagnons dans un  terrible attentat dont les auteurs étaient faciles à identifier : Les Palestiniens et les Syriens. Ce drame ne pouvait laisser indifférentes les milices chrétiennes qui   voyaient s’effondrer les plans qu’elles  avaient édifiés avec leurs alliés israéliens pour redessiner un Moyen-Orient nouveau. Elles voulurent se venger.
Sharon eut la faiblesse d’accepter qu’elles pénètrent dans les camps palestiniens  à la recherche de 200 combattants qui s’y étaient réfugiés. Il ne pouvait pas imaginer que ses alliés chrétiens se livreraient à un tel massacre n’épargnant ni les femmes, ni les enfants, ni les vieillards. Il ne s’était pas méfié et c’est bien là sa faute.Désigné comme indirectement responsable par une commission israélienne, il fut obligé d’abandonner son poste de ministre de la défense. Ni les Palestiniens, ni les Arabes en général ni l’opinion mondiale ne le lui ont  jamais pardonné ce drame ..

2)  L’évacuation des habitants juifs du Goush Katif à Gaza en 2005 lui valut l’inimitié et même la haine d’une partie de la population.
Ses opposants ne pouvaient pas comprendre ni admettre que l’homme qui avait le plus milité pour la création. d’implantations juives dans les territoires occupés arrache brutalement à leurs foyers, à leurs champs, à leurs écoles, à leurs synagogues, à leurs cimetières,  7.000 personnes qui  s’y étaient installées depuis une quarantaine d’années. En fait,  Ariel Sharon  avait compris  que le rêve du grand Israël devait être abandonné car il était irréalisable et il recherchait un accord avec les Palestiniens. Comme il avait pris brusquement 32 ans auparavant la décision de franchir le canal de Suez, il décida  aussi avec la même impétuosité que la présence de quelques milliers de juifs à Gaza au milieu d’un million d’Arabes hostiles ne justifiait pas tant de dépenses et la présence de tant de soldats pour les protéger.
Il n’est pas dit non plus qu’il ne voulait pas par ce cadeau inattendu fait aux Palestiniens, tester leur fiabilité et leur volonté de vivre en paix aux côtés d’Israël. Les faits ont hélas démontré que loin de faire de ce bout de terre un nouveau Singapour, au lieu de profiter des installations laissées par les Israéliens pour les développer et en créer des nouvelles, de développer le tourisme, d’améliorer les conditions de vie de la population, le Hamas qui y prit le pouvoir en fit un camp retranché braqué sur Israël, dépensant en création de tunnels et en achat de missiles, l’argent, de l’aide internationale.
On comprend que cette expérience désastreuse, mais probablement nécessaire puisse rendre encore plus méfiants les Israéliens qui négocient actuellement avec l’Autorité Palestinienne.

L’Histoire retiendra certainement  d’Ariel Sharon qu’il fut un très grand soldat, qu’il a sauvé Israël du désastre en 1973 , qu’il a consacré sa vie à sa terre et à son peuple qu’il a aimés passionnément et que comme Its’haq Rabin, il a réalisé après ses brillants exploits militaires que les guerres, même victorieuses, n’arriveraient pas à elles seules à régler le conflit avec les Palestiniens.

Un grand homme, un grand juif nous a quitté .
Que son souvenir soit béni !

André Nahum
Judaïques FM le 15 janvier 2014

Nota de Jean Corcos :


En complément de ce bel hommage de mon ami André Nahum, je vous invite à lire (ou à relire pour certains), le témoignage personnel de ma rencontre avec Ariel Sharon, que j'avais publié sur mon blog il y a huit ans, juste après l'attaque cérébrale qui le plongea dans un long coma.