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30 septembre 2012

Dix raisons de croire que les Tunisiens ne vivent pas dans un Etat de droit

En Tunisie, vivons-nous dans un Etat de droit ? C’est la question qui me taraude l’esprit depuis la mise en place d’un gouvernement provisoire dominé par le parti islamiste Ennahdha.



En effet, depuis cette date, chaque semaine apporte son lot de scandales, de comportements hors la loi, souvent d’ailleurs impunis, de dérives sécuritaires graves, de décisions de justice ubuesques, sans oublier, bien entendu, l’installation d’un émirat salafiste quelque part sur le territoire national, véritable Etat dans l’Etat!
Je ne vais pas pouvoir énumérer tous les actes de transgression de la loi qui ont été commis au cours des derniers mois car il me faudrait écrire un livre entier, aussi vais-je me contenter de passer en revue  les 10 situations qui me paraissent les plus graves.

 1- L’occupation de la faculté des lettres de la Manouba par des salafistes

C’est une affaire honteuse qui a pourri la vie, des mois durant, à des milliers d’étudiants et d’enseignants universitaires et dans laquelle se mêlent l’incompétence et la mauvaise foi du gouvernement.
Un certain 28 novembre 2011, deux étudiantes en niqab sont, en toute logique, empêchées de passer des examens. Elles font alors appel à un groupe de salafistes, en majorité étrangers à la faculté, qui occupent l’administration, empêchent le déroulement normal des cours, agressent étudiants, enseignants et même le doyen de la faculté en toute impunité.
Cette affaire, largement relayée par les médias, nationaux et internationaux, a  gravement terni l’image de la Tunisie à travers le monde, au vu et au su du ministre de l’Enseignement supérieur, connu pour son idéologie religieuse fondamentaliste proche de l’extrême droite, qui n’a pas trouvé mieux que d’en imputer la responsabilité au doyen de la faculté !

2- La profanation du drapeau national en toute impunité

Conséquence du pourrissement de l’affaire de la faculté des lettres de la Manouba et de l’étrange passivité du gouvernement face aux agissements des salafistes, l’un des activistes religieux s’est permis d’arracher le drapeau tunisien et de le remplacer par la bannière noire de son groupe fondamentaliste, au grand dam de millions de Tunisiens qui se sont sentis blessés et meurtris dans leur âme par ce geste insensé. Heureusement qu’à cet instant, une jeune fille armée de son courage a su tenir tête à l’énergumène et remettre en place notre drapeau, symbole du sacrifice des martyrs qui ont donné leur vie pour que la Tunisie soit un pays souverain et indépendant.
Le pire dans cette affaire est que le profanateur,  quoique identifié, n’a pas été inquiété outre mesure par les autorités. Il a pu ainsi se pavaner à sa guise pendant des semaines avant de se rendre de son plein gré à la police. Traduit en justice, il n’a écopé que d’une peine de prison de 6 mois avec sursis, qui en dit long sur l’indépendance de la justice.
(Pour information, si la loi avait été correctement appliquée, le profanateur aurait dû être condamné une  peine de 1 an de prison ferme).

3- La parade des prédicateurs ignobles

Durant les mois écoulés, notre pays a vu défiler de nombreux apprentis-prédicateurs d’opérette, le plus célèbre d’entre eux étant le dénommé Wajdi Ghanim, qui s’est rendu tristement célèbre en faisant l’apologie de l’excision des fillettes, coutume barbare datant de la Jahiliya (la période antéislamique). Cet odieux personnage, condamné dans son propre pays, n’a pas trouvé mieux que de profiter de l’hospitalité des Tunisiens pour venir les insulter, et ce avec la bénédiction de certains hauts cadres du parti Ennahdha, de membres de l’Assemblée nationale constituante et même de membres du gouvernement, qui lui ont déroulé le tapis rouge.
Comment un Etat de droit pourrait-il se permettre d’autoriser une personne étrangère à venir lancer sur son sol des appels à la haine et à la discorde?

4- Les milices au service du parti-Etat 

Par une sorte de syndrome de Stockholm, Ennahdha semble suivre le chemin de l’ancien parti au pouvoir, le Rcd, dans bien des domaines, notamment celui des milices, chargées de faire le sale boulot!
Lors de la marche du 9 avril, destinée à commémorer le sacrifice des martyrs, l’auteur ces lignes était aux premières loges pour voir ces milices barbues à l’œuvre, en train de tabasser de simples citoyens venus fêter pacifiquement un évènement cher à leurs yeux.
Comme si le fait de lancer des gaz lacrymogènes était insuffisant, le ministre de l’Intérieur, cherchant visiblement à montrer un semblant d’autorité, a permis à ces milices d’agir en toute impunité et au mépris des lois élémentaires du respect des droits de l’homme ...

5 - La tentative de mainmise sur la télévision nationale

Continuant sur leur lancée et cherchant à «aider» le parti au pouvoir à asseoir sa domination sur les médias et notamment la Télévision nationale et ses deux chaînes Watanya1 et Watanya 2, ces milices ont organisé un sit-in juste en face du siège de l’établissement, offrant, deux mois durant, un spectacle désolant de voyous lançant à travers des mégaphones des slogans orduriers, appris par cœur, et des grossièretés à l’adresse des speakerines et présentatrices du télé-journal. Trois d’entre elles, n’en pouvant plus de voir leur honneur atteint par ces énergumènes, ont préféré démissionner.
Pour pouvoir camper de la sorte deux mois durant, il est clair que ces individus n’ont pas d’autre boulot, ce qui pourrait laisser penser qu’ils sont payés pour le faire, d’autant que certains témoins affirment avoir vu des voitures venir régulièrement apporter de la nourriture (et pourquoi pas autre chose) à ces sit-inneurs décidément très professionnels.

6 - Des Salafistes au dessus des lois :

Il semble que, sous le «règne» d’Ennahdha, les salafistes bénéficient d’une impunité totale et qu’ils peuvent mener des actions violentes sans courir le moindre risque pénal. Il suffit de rappeler les agressions contre des journalistes (notamment des journalistes Zied Krichène et Sofiène Ben Hamida), de l’universitaire et écrivain (Hamadi Redissi), des artistes, des innombrables citoyens (et, surtout, citoyennes) ordinaires, et ce en toute impunité.
Il y a lieu de noter que même les agents de police peuvent être victimes d’agressions de la part de ces salafistes, que le chef d’Ennahdha décrit comme ses «propres fils», qui lui rappellent sa «prime jeunesse»!
Si les forces de police ne sont même pas capables de se protéger elle-mêmes contre ces individus violents, alors comment pourraient-elles protéger les citoyens?

7 - Les appels au meurtre impuni

De nombreux Tunisiens sont scandalisés par cette douloureuse affaire d’appel au meurtre à l’encontre des juifs lancé par des extrémistes lors de l’arrivée de l’ex-Premier ministre palestinien Ismail Haniye. Non seulement cet appel au meurtre est resté impuni mais il s’est répété à plusieurs reprises. Le cas le plus édifiant est celui de l’appel au meurtre lancé publiquement contre l’ancien Premier ministre par un fonctionnaire de l’Etat, un haut cadre du ministère des Affaires religieuses de surcroît, dont le salaire est payé par le contribuable tunisien !

8 - L’affaire Nessma TV

C’est une affaire pour le moins abracadabrante dans laquelle les agresseurs sont innocentés alors que la victime est condamnée!
Quelques semaines avant les élections du 23 octobre 2011, la chaîne privée Nessma TV a eu la malencontreuse idée de diffuser le film ‘‘Persépolis’’. Ce film qui avait été auparavant projeté dans diverses salles de cinéma a été jugé blasphématoire par certaines personnes qui ont réussi à faire une manipulation politique, de sorte que des hordes d’énergumènes excités et endoctrinés se sont attaqués à la personne du directeur de la chaîne ainsi qu’a des membres de sa famille.
La justice a quasiment blanchi les agresseurs. Elle a, en revanche, condamné le directeur de la chaîne à payer une lourde amende.
Il y a lieu de noter que le verdict a été prononcé le jour même de la célébration de la liberté d’expression, ce qui a suscité une vive réaction d’indignation de la part de l’ambassadeur des Etats Unis d’Amérique. Et d’organisations internationales de défense des libertés.

9 - Dédommagement des islamistes ou le hold-up du siècle

Au moment où la situation économique du pays s’aggrave très sensiblement, où le chômage s’amplifie, où l’inflation galopante rogne le pouvoir d’achat du citoyen tunisien, qui trouve toutes les peines du monde à joindre les deux bouts, et où les blessés de la révolution sont livrés à eux-mêmes et traités de façon indigne, les membres du gouvernement islamiste ne trouvent pas mieux que de sortir cette histoire d’indemnisation des victimes de la répression de Ben Ali.
Certaines rumeurs font état d’un montant astronomique (non confirmé) d’une cagnotte de 750 millions de dinars qui serait répartie entre les anciens prisonniers politiques. Ce qui constituerait un véritable hold-up sur les caisses de l’Etat, déjà à moitié vides!
Heureusement que dans notre pays, il reste des hommes et des femmes dignes qui refusent de manger de ce pain, notamment ces militants de gauche qui ont annoncé qu’ils refuserait de percevoir ces indemnités et qu’ils ont milité pour la libération et l’émancipation de leur peuple, et non pour être… rémunérés pour leur combat!

10- L’émirat salafiste du Sejnanistan

C’est sans doute l’affaire la plus grave, qui semble relever du surréalisme !
Divers médias tunisiens et étrangers ont révélé cette histoire gravissime de l’établissement d’un émirat salafiste dans le paisible village de Sejnane (nord-ouest), dont les habitants se trouvent à la merci d’un groupe de fondamentalistes religieux qui fait régner la terreur, à travers des actes de torture sur de paisibles citoyens. Un Etat dans l’Etat!
Le pire est que cette affaire dure depuis des mois sans que le gouvernement provisoire ne lève le petit doigt pour y remédier, se dérobant derrière des dénégations qui ne convainquent personne.
Tout récemment, un groupe d’une centaine d’étudiants, transitant par ce village, se sont fait menacer, insulter et même violenter par des extrémistes salafistes, sans que la police ne daigne intervenir.
Tout ce que notre gouvernement a trouvé comme commentaire, c’est de dire qu’il ne s’agit pas de touristes étrangers, mais d’étudiants tunisiens!
Ceux qui croient encore que la révolution tunisienne est celle de la dignité doivent déchanter!
En définitive, même si nous nous réjouissons du départ du tyran Ben Ali, nous devons nous résoudre à accepter le fait  que le chemin vers l’établissement d’un véritable état de droit en Tunisie est encore long et semé d’embuches !

Moez Ben Salem,
Kapitalis, le  17 mai 2012

Nota de Jean Corcos :

Il m'a paru intéressant de publier, avec quelques mois de retard, cet article de la presse tunisienne qui déjà tirait la sonnette d'alarme ... c'était avant bien d'autres graves dérives où l'islamisation rampante du pouvoir précédait ou accompagnait les violences des extrémistes salafistes ; et bien sûr, avant l'attaque en bandes rangées de l'Ambassade des USA à Tunis, le vendredi 14 septembre ! 

28 septembre 2012

Un Juif israélien chez les derviches tourneurs

Derviche tourneur

Tandis que le soleil décline sur son campement accroché à une colline de Galilée, Miki Cohen prend place sous une tonnelle en fer forgé et commence lentement, très lentement, la giration d’un derviche tourneur. Les bras croisés sur la poitrine, à l’écoute d’une musique soufie diffusée par son téléphone portable, il lève les bras au-dessus de ses épaules, tournoyant, les yeux clos, en pleine extase mystique. La danse méditative soufie est la réponse de Miki Cohen, 58 ans, à de longues années de questionnement spirituel.

Il est le premier Juif israélien à avoir accédé au rituel sacré des musulmans soufis de l’ordre Mevlevi, fondé en Turquie au XIIIe siècle, plus connu sous le nom d’ordre des « derviches tourneurs ». Issu de la petite bourgeoisie de Tel-Aviv, Miki Cohen est resté traumatisé par la guerre israélo-arabe du Kippour (1973), qui faillit tourner au désastre pour Israël et durant laquelle il fut infirmier militaire. Il se lance dans une quête éperdue de paix intérieure, flirtant avec la spiritualité juive, avant de vivre deux ans dans un âshram à Tel-Aviv puis d’étudier le taoïsme chinois et le kung-fu aux États-Unis pendant trois ans, tout en engrangeant des diplômes de psychologie et de philosophie. La normalité garde pourtant ses droits : marié et père de deux enfants, il fait vivre sa famille en enseignant l’écriture de scénarios. Mais, au hasard de son cheminement spirituel, il découvre les écrits mystiques de Jalaleddine Roumi, poète soufi du XIIIe siècle originaire de Perse, dont les adeptes fondèrent, après sa mort, la confrérie des derviches tourneurs, appelés ainsi pour leur danse giratoire proche de la transe. « Plus je lisais Roumi, plus je découvrais le soufisme, quand la raison s’arrête pour laisser parler le cœur. Il est alors devenu évident que c’était ma voie », explique Miki Cohen, tout de noir vêtu, ses longs cheveux noués en queue de cheval.

Tout derviche aspire à l’ascèse des grands mystiques musulmans soufis. De plus en plus fasciné par les enseignements de Roumi, Miki se marginalise : il se sépare de sa femme, s’installe dans une caravane et voyage à travers Israël. En 2005, il va se recueillir sur la tombe du poète persan à Konya, haut lieu religieux de l’Anatolie. Dans un bus, il fait la rencontre d’un derviche tourneur. Ce dernier l’invite à passer une semaine au sein de l’ordre pour s’initier au sama’, danse et chant sacrés des soufis mevlevis.

L’invitation d’un Juif israélien au sein de cette confrérie musulmane traditionaliste plutôt fermée est sans précédent. C’est grâce à sa dévotion, et en dépit de la barrière de la langue, que Miki Cohen a été admis là où beaucoup d’autres ont échoué, explique la cinéaste turque Yelda Yanat Kapkin, qui suit depuis des années le parcours du néophyte et lui a consacré un documentaire pour la chaîne al-Jazira. « Quand il a rencontré le maître de la confrérie, ce dernier a vraiment cru que Miki était un adepte », témoigne la réalisatrice.
Miki Cohen vit aujourd’hui au flanc d’une colline rocailleuse plantée d’oliviers, près du village druze de Jat, en Galilée, dans le nord-ouest d’Israël. Il habite une tente ronde et spacieuse qui ressemble à une yourte mongole, dont le pilier central soutient un toit drapé de tissus de couleurs vives. Le sol est jonché de tapis et de coussins. Dans cet abri alimenté en électricité par l’énergie solaire, il y a aussi des canapés fatigués et des chaises, ainsi que deux étagères branlantes, ployant sous le poids d’un assortiment éclectique de livres. Un amoncellement de matelas fait office de lit. Un vieux placard cache l’accès secret d’une grotte que Miki a creusée et aménagée dans la montagne, et où il se réfugie quand le vent devient mauvais.
Jour après jour, devant sa yourte, dans une cage ronde dallée, comme une sorte de tonnelle, le derviche israélien, solitaire et hiératique, reprend la majestueuse rotation du sama’. « L’espace d’une seconde, j’éprouve un profond sentiment d’harmonie. C’est magique », dit-il.

"L'Orient Le Jour", 
14 septembre 2012
(Source : AFP)

25 septembre 2012

La politique étrangère turque s’essouffle


La politique étrangère menée par Ankara depuis le printemps arabe s’est illustrée par un échec flagrant. Comment expliquer ce constat ? Pour le chroniqueur Cumali Önal, le changement de paradigme stratégique turc du «soft power», plus en souplesse, à un «smart power» plus offensif explique cet échec et ce retour en arrière diplomatique.
L’échec de la politique étrangère turque, amorcé avec le printemps arabe, ne cesse de s’aggraver. Il n’y a plus trace aujourd’hui de cette Turquie qui développait de nouveaux objectifs avec l’Union européenne, Israël et l’Iran d’un côté, et qui, de l’autre, concevait des projets à long terme avec la Syrie, la Russie et les États-Unis. Comme dans le cas de sa politique intérieure, le gouvernement présente des signes d’épuisement. Les développements en Syrie expliquent certainement, dans une large mesure, l’état actuel de la politique étrangère. La Turquie, et en particulier le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, n’a cessé de multiplier les déclarations fermes sur la crise syrienne, lançant des menaces au régime de Bachar al-Assad. Cependant, force est de constater que nous avons été laissés seuls face à la crise syrienne. Les pays occidentaux font profil bas dans leur soutien à la Turquie face à la crise syrienne, et le pays est bien conscient que ce type de soutien, typiquement occidental, sera complètement abandonné si les pays occidentaux estiment la chose nécessaire. 

Les illusions égyptiennes de la Turquie

Quatre pays arabes qui ont renversé leurs dictateurs par le biais d’une révolution – à savoir l’Egypte, la Libye, la Tunisie et le Yémen – ne voient pas dans la Turquie un modèle et ne la rangent pas davantage dans la catégorie des pays auxquels ils attachent une importance particulière, et ce, malgré tous les efforts et les initiatives diplomatiques déployés en ce sens par la Turquie. En particulier, il semble très peu probable que l’Egypte, où les Frères musulmans ont aujourd’hui conquis le palais présidentiel, établissent des liens plus étroits avec la Turquie, en dépit des efforts intensifs de l’administration de M. Erdogan. Dès lors, établir au Moyen-Orient une relation de coopération avec l’Egypte qui serait comparable à celle qui existe entre l’Allemagne et la France en Europe est à court terme un vœu pieux. La nouvelle priorité de l’Egypte a été clairement révélée par la visite en Arabie saoudite de son nouveau président Mohamed Morsi. Non seulement la politique étrangère turque a échoué à s’adapter aux nouvelles conditions, mais encore ses organes diplomatiques – représentés par le Bureau de la diplomatie publique, l’Agence turque de coopération et de développement (TIKA) et les différents centres culturels Yunus Emre – se sont également révélés inefficaces. Par ailleurs, le projet du gouvernement visant à développer les sections arabes de l’agence de presse Anatolie et de la Radio et télévision turque (TRT) dans le but de développer l’image de la Turquie semble également s’être soldé par un échec. L’élan qu’avait créé la politique de la Turquie vis-à-vis d’Israël semble avoir disparu. Ni Israël, ni les groupes palestiniens ne font plus mention de la Turquie. En particulier, nous voyons de près aujourd’hui comment les efforts de la Turquie vis-à-vis de la question palestinienne se sont révélés improductifs. 

Un retour à l’ancien régime diplomatique

Quant à la politique de la Turquie vis-à-vis de l’Irak, c’est une énigme. Nous ne voyons pas aujourd’hui ce que la Turquie a gagné à offrir refuge à l’ancien vice-président de l’Irak Tariq al-Hashimi. Et le monde arabe n’apprécie pas, pour le moins, le fait que la Turquie lui ait offert l’asile. Au contraire, la campagne anti-turque dirigée par le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki, qu’on décrit comme étant un second de Saddam Hussein, s’accentue. On sait par ailleurs que les chiites irakiens ne se sentent plus proches de la Turquie. En raison de la politique turque vis-à-vis de la Syrie, les relations turco-iraniennes connaissent leur période la plus tendue ces dernières années. Les deux pays sont en concurrence implicite, et cherchent à s’affaiblir l’un l’autre. Les signaux d’alarme concernent également les relations de la Turquie avec un certain nombre d’organisations internationales et de puissances mondiales, y compris l’UE, l’Union africaine, la Russie et les États-Unis. Pour certains, la raison principale de ces problèmes est que la Turquie a abandonné sa stratégie de pouvoir doux (soft power) pour la remplacer par une stratégie de pouvoir intelligent (smart power). Quelle que soit la raison, la Turquie a besoin d’un nouveau dynamisme et d’un nouvel enthousiasme en matière de politique étrangère. Après avoir été menée avec succès, la stratégie du «zéro problèmes» a été complètement mise de côté. La Turquie est retournée à la politique étrangère qu’elle poursuivait avant l’arrivée au pouvoir de l’AKP. Il n’existe aujourd’hui pratiquement aucun pays limitrophe avec lequel la Turquie n’ait pas de problèmes.

Cumali Önal,
Zaman Today, 27 juillet 2012

Nota de Jean Corcos :
Intéressant article que cette critique publiée par l'édition Internet du journal international turc "Zaman" : rattaché au mouvement conservateur religieux de Fethullah Gülen, on le disait proche du parti au pouvoir AKP. Or - et ce n'est pas la première fois qu'on le constate - on découvre ici une critique nette de la diplomatie du Premier Ministre Erdogan ...

24 septembre 2012

Connaissez-vous ce charmant pays (suite) ?




La devinette du mois
- septembre 2012


Nouvelle devinette, dans la série que vous commencez maintenant à bien connaitre : c'est la gastronomie locale qui sert dorénavant de fil d'Ariane à ma série !

Celle de ce mois de septembre n'est pas vraiment facile. En effet, les brochettes grillées sont courantes dans tout le bassin méditerranéen. Mais attention ! La viande proposée ici, c'est un mélange bien particulier d'agneau et de veau, agrémenté d'ail, persil et coriandre avant d'être grillée ...

Quand à la devinette précédente - rappelez-vous, ce ragout où on cuit ensemble viande, pruneaux, amandes - et bien il s'agissait bien sûr du Maroc. Et de ses célèbres tagines !

J.C

23 septembre 2012

L’incendie, par Gérard Akoun



Quatorze minutes sur le web, d’un film "L’innocence de l’Islam"   jugé  insultant et blasphématoire  pour les musulmans,  ont suffi pour mettre le feu aux poudres dans le monde arabo musulman. Des manifestations dont certaines très violentes - elles ont, déjà, coûté  la vie  à trente et une personnes - se sont déroulées dans de nombreux pays. Ce film  stupide, injurieux, de très mauvaise qualité, tourné, produit  aux Etats Unis par des individus à l’identité incertaine avait été, de prime abord,  faussement attribué à un juif israélien vivant  aux Etats Unis. On sait maintenant qu’il a été produit par un Copte vivant en Californie avec, indubitablement,  la volonté de provoquer : des extraits  de ce film ont été mis en ligne en anglais sur You Tube le 1er juillet dans l’indifférence générale, puis traduits en arabe dialectal égyptien et mis en ligne à la veille de la date anniversaire de l’attentat du onze septembre 2001. La concomitance des dates ne me semble pas due au hasard,  elle a orientée, dirigée contre les Américains, contre leurs  ambassades la colère de manifestants, manipulés selon  l’équation toute  simple : "le film étant américain, le gouvernement des Etats Unis est responsable de l’insulte faite au prophète et aux croyants musulmans". L’ambassadeur des Etats Unis en Libye et trois agents consulaires l’ont payé de leur vie.

Le temps a effacé, chez nous le souvenir des guerres de religion, les islamistes nous y replongent ! On reste sidéré, quand on vit dans un pays démocratique au 21ème siècle,  par la vitesse de propagation de ces manifestations dans le monde arabo-musulman, par l’importance disproportionnée  qui a été accordée à la diffusion des extraits d’un  film qui ne mérite  que le mépris et qui n’aurait pas  du sortir du caniveau dont il est issu. Au lieu de cela, il a bénéficié d’une énorme  publicité, gratuite, qui l’a fait connaître dans le monde entier.  Je ne crois pas que l’écho qui lui a été donné profite aux musulmans. Certains responsables dans des  pays arabes l’ont bien compris. Ils ont limité, autant que faire se peut, les manifestations anti américaines. Mais il était évident que les extrémistes islamistes,  salafistes ou membres d’al Qaïda,  allaient en profiter pour attiser la haine, s’attaquer à des  édifices symboles de l’Occident, bousculer les dirigeants musulmans dits   "modérés", qui souhaiteraient avoir des relations plus équilibrées avec les pays occidentaux.  

Nous avons été d’autant plus désagréablement surpris qu’il s’est trouvé en France des musulmans de la mouvance islamiste, des intégristes, pour vouloir manifester devant l’Ambassade des Etats Unis. Ils étaient peu nombreux, ils n’ont pu atteindre leur objectif, la police veillait, mais ils ont fait leur  prière dans la rue ce qui est interdit, sans que les gendarmes ne s’y opposent. Eduqués en France pour la plupart d’entre d’eux, ils savent mieux qu’un fellah égyptien que dans un pays démocratique, le gouvernement n’est pas responsable d’un film réalisé sur son territoire ! Ils voulaient manifester leur haine de l’Amérique, des valeurs de l’Occident mais aussi clamer leur haine des juifs et cela ne se limite pas à des slogans, puisqu’un  attentat a été commis, hier,  contre un supermarché cascher à Sarcelles. L’ambigüité de la relation entre les arabes et l’Occident est stupéfiante : ceux qui y vivent et profitent des libertés qu’accorde la démocratie, voudraient vivre selon des règles édictées par l’islam, alors que ceux qui vivent en terre d’islam, risquent leur vie et souvent la perdent, pour fuir des régimes théocratiques, incapables de leur accorder le minimum vital.

François Hollande qui inaugurait mardi le département consacré aux arts de l’Islam au Louvre, dont la première pierre avait été posée par Nicolas Sarkozy en 2008, a dénoncé à propos  de cette manifestation sauvage d’intégristes musulmans "ces groupes mus par l’insondable bêtise qui rend chaque civilisation vulnérable, et l’obscurantisme qui anéantit les principes et détruit les valeurs de l’islam en portant la violence et la haine". Les actes doivent accompagner les paroles  car cet  obscurantisme est à nos portes. Il est véhiculé par les salafistes, soutenus  sur le plan financier, principalement, mais pas uniquement par l’Arabie Saoudite, et leur doctrine - le salafisme - est propagée par des chaines satellitaires arabes.

Gérard Akoun 
Judaïques FM, le 20 septembre 2012